Que faire si l’on n’aime pas la musique de son époque ? Acheter de vieux disques ou ronchonner ? Les six membres de Broadcast ont préféré enregistrer la leur. Et comme on n’est jamais si bien servi que par soi-même, le planant The Noise made by people leur plaît, à juste titre…
Chronic’art : Comment s’est formé Broadcast ?
Roj Stevens : Nous venons tous de Birmingham et nous nous connaissons depuis cinq ans environ. Nous avions l’habitude de fréquenter les mêmes clubs, tout particulièrement The Senseteria. Ils jouaient beaucoup de garage et de musique psychédélique. Je finis par me demander si nous écoutions de la musique électronique avant ça…
James Cargill : Je dirais qu’en 1995, dans ce club, ils passaient un style de musique qu’on n’entendait jamais ailleurs, avant qu’il n’y ait ce regain d’intérêt pour l’easy listening. Lorsque nous nous sommes aperçus que nous partagions un intérêt commun pour ce style, que nous jouions tous d’instruments, il ne nous a pas fallu longtemps pour former un groupe.
Roj : A ce moment-là, c’était l’explosion de la brit pop, une période vraiment agaçante à nos yeux en tout cas. Ca ne répondait à aucune de nos attentes. Heureusement que nous avions ce club où l’on jouait autre chose. Et nous avons pensé à faire quelque chose dans cette veine.
Afin de créer le style musical que vous vouliez entendre ?
Roj : Oui, c’est encore le cas aujourd’hui.
James : On ne voulait pas copier, bien sûr, mais tenter de recréer ce sentiment de plaisir que nous procuraient ces musiques-là.
Trish Keenan : J’aime tout spécialement les arrangements très développés que nous avons mis sur ce disque. Il y en avait dans ce genre dans les années 60, sans doute parce que les musiciens avaient une plus grande maîtrise de leurs instruments.
Que s’est-il passé ensuite ?
Roj : Au début, nous avons envoyé une cassette au label Duophonic. Tu connais Stereolab ? C’est leur label. Je crois que c’était la première démo qu’on ait jamais enregistrée.
Il y a quelque chose de Stereolab chez Broadcast d’ailleurs.
Roj : Je crois que nous partageons une tournure d’esprit.
James : Ils nous ont appelés pour nous dire qu’ils aimaient ce qu’on faisait et nous ont envoyé chez le mec de Wurlitzer Jukebox, un petit label des Midlands. Il avait dû sortir cinq singles et nous avons fait le sixième. Après ça, le groupe a décollé, ce qui était plutôt inattendu.
Trish : Et nous avons sorti deux singles chez Duophonic. Encuite, Warp a commencé à s’intéresser à nous. Nous n’avions pas vraiment ciblé de maisons de disques, mais le frère de Tim travaillait pour un label de distribution, Ideal, en rapport avec Warp. Un mec d’Ideal nous a suggéré d’envoyer une démo chez Warp. Aussitôt après, Rob Mitchell de Warp est venu assister à un de nos concerts. Et, à ce moment-là, c’est devenu évident que nous signerions avec Warp, même s’il y avait d’autres labels sur les rangs.
James : Nous avions toujours été sur de petits labels indépendants, et nous voulions rester, même si c’était une marche au dessus, dans une petite structure.
Roj : Chez Warp, on comprend tout de suite que les gens aiment vraiment la musique. Ce n’est pas une de ces grosses boîtes anonymes.
Trish : On nous demande souvent : « Pourquoi Warp ? Vous n’êtes pas un groupe typique de la maison… » Mais quand on connaît Rob et Steve, et leurs goûts musicaux, ça tombe sous le sens.
James : Il y a beaucoup de groupes qui visent les gros labels pour de grosses sommes d’argent et on tenait à éviter ce piège.
Roj : A peine étions-nous signés par Warp, qu’ils ont repris nos singles et en ont fait une compilation. Et nous avons décidé de faire un album. On a commencé par travailler avec plusieurs producteurs et ingénieurs du son, mais ça ne marchait pas et on a fini par tout faire nous-mêmes ; ça a pris un certain temps.
James : Nos gros problèmes ont été d’ordre technique, pas d’ordre créatif. On savait ce qu’on voulait faire. Je crois que nous étions si spécifiques que le processus était plus complexe.
Roj : Si tu veux créer un son de A à Z, il faut tout contrôler, pas seulement les notes de musique, mais la façon dont chaque instrument est enregistré.
Trish : Je crois que c’était dur pour un producteur d’arriver au sein de notre petit groupe, car il y a beaucoup de choses entre nous qu’on ne se dit pas, beaucoup de compréhension mutuelle, de complicité. Souvent, au final, nous nous retrouvions avec des morceaux produits par d’autres et nous n’en étions pas contents du tout. C’est impossible d’empêcher les gens de laisser leur empreinte. Donc nous avons dû apprendre à utiliser un studio et ça a pris du temps.
James : Mais au final, ça en valait la peine car nous avons obtenu ce qu’on voulait.
Vos sentiments à l’écoute de l’album…
Trish : Je ne l’écoute pas !
Roj : Moi oui, parfois. Honnêtement, c’est difficile d’être objectif.
Tim Felton : J’écoute les erreurs et les défauts.
James : Ou les erreurs qui ont mené à quelque chose.
D’où avez-vous sorti un titre comme The Noise made by people ?
Trish : Ce titre vient d’un livre en réalité, intitulé The Noise made by poems. Je crois que ça a du sens, que ça signifie quelque chose : il peut s’interpréter à différents niveaux, il ne s’agit pas que du bruit que font les groupes de rock, par exemple. Mais de bruit en général, c’est un titre générique, ouvert. On peut déduire des choses selon la façon dont les gens interprètent ce titre. Beaucoup se limitent au sens de bruit associé au rock.
James : Il y en a qui pensent que c’est un commentaire au sujet des autres groupes signés sur Warp. Des formations qui font des bruits avec leurs boîtes à rythmes.
Vos influences communes ?
Roj : Notre groupe fétiche, celui qui nous réunit tous, s’appelle United States of America. Ils ont mélangé le son de l’avant-garde avec celui de la pop. C’est la clé que nous avons utilisée pour notre musique.
James : On pensait que c’était une bonne idée de mélanger les deux.
Trish : Mes influences viennent principalement de la poésie.
Pas de Les Baxter ou d’Esquivel ?
James : Oui, bien sûr.
Trish : Je suis fascinée par les années 60 en France : Françoise Hardy, Serge Gainsbourg, tous les gens connectés avec cette scène. Y compris France Gall. A chaque fois que je mentionne son nom, les Français font la grimace. Pourquoi ?
C’est dû à de mauvaises associations dans les années 80…
James : Comme tout le monde.
Roj : Et on aime Jacques Dutronc. Il est marié à Françoise Hardy, non ?
Comment parvenez-vous à transposer votre univers sonore sur scène ?
Roj : Je ne sais pas jusqu’à quel point on le transpose, je crois qu’il diffère un peu, on ne peut pas réinterpréter notre disque intégralement pour la scène.
Trish : Je dirais qu’on est un peu plus bruyants…
James : Un peu plus crus aussi, on dénude notre musique.
Trish : Nos concerts sont assez fluides. Nos chansons se fondent les unes aux autres.
Des improvisations ?
James : Oui, on monte le son, mais ce n’est tout de même pas comme si on faisait du jazz.
Trish : Quelquefois, il y a des changements d’atmosphère, mais dans l’ensemble, nos morceaux sont bien répétés.
Roj : Il y a aussi des problèmes techniques. Ou l’un de nous se met à jouer un petit truc différent et on le regarde tous, avec l’air de dire : « Arrête ça tout de suite. » On a eu quelques catastrophes notoires. La plus belle a eu lieu avant ou après notre signature avec Warp. Squarepusher se produisait avant nous et nous venions ouvrir pour Stereolab.
Trish : C’était un concert qui marchait bien : on était vraiment dedans, on se dépassait, tout le monde nous regardait…
Roj : Et puis soudain, tout s’éteint. Plus de son. On regarde autour de nous et, dans un coin, il y avait Tom de Squarepusher, avec deux prises de courant dans les mains. Il essayait juste de débrancher sa boîte à rythmes et il a coupé tout le jus. Steve était toujours en train de cogner sur sa batterie et on continuait à jouer…
James : Ouais, c’est le pire ou le meilleur concert à ce jour… Notre vrai meilleur souvenir est sans doute ce festival en Espagne. C’était le jour où la grande scène s’est effondrée.
Roj : Nous étions le dernier groupe à jouer et, à notre entrée sur scène, il s’est mis à pleuvoir vraiment fort. Tout le monde s’est rué sous la tente afin de ne pas être trempé. Et nous avions tout ce public captif.
Tim : De temps en temps, on se prenait des gouttes d’eau dans le cou ou sur la tête. On pensait à l’électrocution.
James : Mais c’était un excellent concert. L’orage était un fond sonore excitant.
Qui écrit quoi ?
Roj : Habituellement, Trish arrive avec un morceau de chanson, genre cordes et voix. Et le reste du groupe joue avec, le transforme en chanson. Ca se termine sur l’ordinateur pour que nous lui donnons forme. Trish écrit toutes les paroles.
En puisant l’inspiration dans la poésie ?
Trish : Oui.
James : Si tu peux appeler ça de l’inspiration. Je dirai plutôt que c’est du plagiat (rires).
Propos recueillis par
Lire notre critique de The Noise made by people de Broadcast
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