À l’occasion de la sortie de ce coffret Pet Sounds constamment retardé par les chamailleries internes d’un groupe qui n’existe plus que sur papier, il serait grand temps de ravaler la façade peu flatteuse de de ces californiens crétins pur-jus, adeptes de surf, les Beach Boys… En leur sein s’abrit en effet un des plus grands compositeurs/arrangeurs de la pop sixties US… Brian Wilson.

Sous la couche dorée du Mythe américain adolescent teinté de patriotisme gentillet se cache une oeuvre schizophrène et névrosée, pétrie de doute et de mélancolie, enfantée dans la douleur par l’impressionnant Brian Wilson, à la fois songwriter, producteur et arrangeur des albums des Beach Boys

Non content d’avoir trouvé LE son californien en fusionnant rock’n’roll classique et musique surf (l’exemple le plus évident étant Surfin’ USA, reprise maligne du Sweet Little Sixteen de Chuck Berry) ce jeune homme rondouillard, dépressif et excentrique va ouvrir une nouvelle voie dans le rock, une voie plus spirituelle et personnelle… Convaincu que « la musique est la voix de Dieu », il va tenter de sublimer son art en tant que tel et entreprendre une démarche beaucoup plus introspective, démarche d’autant plus saugrenue quand on la replace dans le contexte purement commercial de l’industrie musicale américaine de l’époque…

Comme Syd Barret plus tard, Brian Wilson s’y brûlera les doigts et y laissera sa santé mentale… Fasciné par Phil Spector, producteur audacieux créateur du « Mur du Son » (Wall of Sound), le jeune musicien se retirera des concerts après une crise de nerfs traumatisante pour entrer en compétition avec son mentor et améliorer sans cesse les arrangements de ses chansons… Tombant dans tous les pièges des soi-disantes « expériences spirituelles » des années soixante, Brian Wilson usera des drogues pour s’ouvrir l’esprit, y piocher de magnifiques mélodies et toutes les idées surprenantes d’arrangement qui feront de la moindre intro une micro-symphonie…

C’est avec Pet Sounds (1966) que le bonhomme donnera la pleine mesure de son art, en livrant un opus reprenant de bout en bout (à deux ou trois exceptions près) des thèmes jusque là à peine évoqués… C’est bel et bien la fin du rêve américain : débutant dans l’espoir juvénile (Wouldn’t It Be Nice), l’album se conclut dans un désenchantement total (Caroline, No), après avoir croisé le chemin du doute et du renoncement (I Just Wasn’t Made For These Times)… Fini aussi les guitares surfs, place aux influences capitales (Bacharach, McCartney, Spector, bien sûr…) et aux orchestrations d’une richesse sidérante ; c’était inévitable, Pet Sounds déroutera le public des Beach Boys et provoquera retrospectivement la mort clinique du groupe… Malgré un succès d’estime répondant à l’attente roublarde de Brian, l’album n’atteindra pas les hauteurs des « charts » US et scellera une mésentente durable entre les membres du groupe…

Finalement c’est à travers Good Vibrations -et dans une moindre mesure avec California Girls, sorti deux ans plus tôt- que Brian réussira son « coup de maître ». Synthèse parfaite d’un certain angélisme post-adolescent et contenant une bonne dose d’excentricité, ce single terrassant, structuré en mosaïque et produit à la perfection, mettra les Beach Boys sur orbite, une orbite qui se révèlera bien instable…

Ivre de son propre génie, Brian tentera de repousser les limites de sa musique au-delà des arabesques baroques de Pet Sounds, avec un futur chef d’oeuvre auto-proclamé, Smile… Peine perdue… Sa « symphonie adolescente pour Dieu » restera inachevée… Ce qu’il en reste est de toute évidence bizarre, fascinant, voire visionnaire, les morceaux s’enchaînant de telle façon qu’ils ne sont plus une simple succession de chansons mais plusieurs « suites » selon le canevas esquissé par Good Vibrations. Drogué jusqu’aux orteils, Brian fera cette fois-ci face à ses plus terribles démons, présents dans les moments les plus inquiétants des morceaux de Smile… Miné par des problèmes professionnels et personnels, ses compères devenant de plus en plus rétifs aux sons tordus des morceaux « smilesques » Brian avortera son grand projet… C’en est alors fini de la crédibilité des Beach Boys

Brian Wilson continuera sa descente aux enfers, se détachant de plus en plus du groupe pour finir en ermite junkie pathétique… Malgré de nombreuses tentatives de retour sur le devant de la scène de la part de son vieux groupe désormais transformé en « juke-box géant » et une psychothérapie de choc, il ne retouvera jamais la place qui lui convient dans le monde de la musique, celle d’un génie égomaniaque certes, mais aussi visionnaire et touché par la grâce entre 1965 et 1967…

Quelques sites web :

Web Page For Brian Wilson : site très complet, quasi exhaustif sur Brian Wilson et les Beach Boys

PetSounds.com : dédié exclusivement à Brian Wilson, son actualité, des interviews à télécharger en format Acrobat Reader…

The Smile Sessions : pour tout savoir sur la symphonie inachevée des Beach Boys

Beach Boys Web Sounds : Joli site agréable à regarder reprenant le design de Pet Sounds

Discographie : les « Indispensables » :

Surfer Girl (1963) : premier album produit par Brian Wilson, un disque encore empreint de l’ardeur juvénile des Beach Boys, agrémenté de quelques ballades immortelles (Surfer Girl, In My Room)…

Today (1965) : du Beach Boys « classique » (face A), puis place à l’introspection et aux arrangements spectoriens sur de superbes mélodies (l’ahurissant Please Let Me Wonder, premier morceau composé sous l’effet de la marijuana)…

Summer Days (and summer nights!!) (1965) : dernier album fun-in-the-sun ; pour California Girls, définitivement la plus belle intro du monde et un morceau sous influence (ici Burt Bacharach), Let Him Run Wild

Pet Sounds (1966) : le songwriting de Brian Wilson à son apogée, comme en témoignent l’envoûtant God Only Knows et le déchirant Caroline, No

Friends (1968) : un des derniers albums Capitol après le désastre Smile… Pas de titres marquants mais un album « culte » apaisé et reposant…

20/20 (1969) : conclusion de la période Capitol… Album foutoir sur lequel se cotoient tentatives de « hits » (Do It Again, le folkeux Cottonfields), un morceau écrit par Charles Manson (Never Learn Not To Love), des compositions de Brian (Time To Get Alone) et des restes de Smile (Our Prayer, Cabinessence)…

Sunflower (1970) : décrit par la presse anglaise comme le « successeur » de Pet Sounds, album plus « collectif » (chaque membre y participe comme compositeur), très mélodieux mais qui se ramassera complètement… Dommage, surtout pour This Whole World, grand morceau de Brian Wilson

Surf’s Up (1971) : album moyen mais deux chefs-d’oeuvre : Surf’s Up LE morceau mythique, et fascinant de Smile et ‘Til I Die, allégorie déchirante de la déliquescence mentale de Brian Wilson

Holland (1973) : Sail On Sailor, petit bijou mélodique mais unique contribution du Maître sur un album toutefois convenable et salué par la critique américaine…

Love You (1976) : album ô combien controversé à cause d’une production binaire et des voix « éraillées » et cassantes des Beach Boys… Difficile d’accès, mais surprenant et finalement très inventif, c’est en plus le dernier album 100% Brian Wilson pour son groupe…

Brian Wilson (1988) : magnifique tentative solo, un morceau époustouflant (quoiqu’un peu surproduit) Love And Mercy et une « suite » tout droit sortie de l’époque Smile, Rio Grande