Avant d’accueillir Biosphère, dont le dernier album chez Touch revisite Debussy, une soirée a récemment mis le doigt sur une jeune scène electro scandinave en pleine crise de croissance. Petite rivière deviendra fjord ? Interview du touche-à-tout qui a fasciné le public caennais, le trublion graphiste et musicien norvégien Kim Hiorthøy. Dernier volet du passage de Chronic’art au Festival Les Boréales 2003.

Sur son versant digital, les Boréales ont cette année privilégié une scène scandinave plutôt inspirée. Chaude ambiance pour une première session en amphi, s’ouvrant sur trois musiciens suédois. A la tête du label Stuporsonika, Dwayne Sodahberk compose, les yeux rivés sur son Mac, par nappes fusionnant solos de percussions et piano. Inspiré autant par Autechre que par le Velvet, il joue de l’éclat et de la rupture sur un registre posé, aux contours nets. Ce que le brun à barbiche Henrik Johansson (nom de projet : Smyglyssna) ne démentirait pas s’il était lui-même plus porté sur les remixes et sur la mise à plat de saynètes monochromes, entrecoupées de breaks secs. Un accroc aux beats façon bulles d’air en suspens, que le hip-hop a tatoué tout jeune d’une envie de lancer trois-quatre boucles, sur lesquels il improvise intervention ludique et mélodie sautillante. Moins de nappes donc, plus de jeux de question / réponse et d’échos créés in situ, plus de contrastes, quitte à lancer quelques vocales de crooner avant un morceau ou d’en boucler un autre par un zeste de cuivres cubains. Plus marquant encore, le svelte blond à écharpe multivitaminée Andreas Tilliander (nom de scène : Mokira) esquisse des nappes saturées à souhait, mais qui retiennent chez lui un désir de mélodies. Au bout du compte une musique rêveuse sans mélo, urbaine sans aigreur, juxtaposant pics métalliques et ralentissements, terreau groove sur lequel la mélodie première reprend alors son souffle. Courants d’air assurés, saturation aiguë d’un chant japonais, sans anecdote ni boucles épiques, Mokira tente ici une musique quasi tarkovskienne. Un calme que les compositions du blondinet Kim Hiorthøy arborent d’habitude sur ses albums Melke et Hei, mais qui s’est quelque peu électrisé lors de son passage à la machine. Jamais à court d’idées malicieuses pour triturer voix du quotidien et rythmes minimalistes, il en tire une fois sur deux des mélodies naïves, sortes de sons dérivés de jouets et de samples associés… Ni survoltées ni planantes, mais autant de boucles formant des étendues où la pause intervient comme un élément important face au jeu des fractures. D’étranges sons aquatiques et des cloches lointaines ponctuent l’univers de ce graphiste très porté sur des géométries abstraites, qui s’entremêlent pour mieux raconter les musiques qu’elles recouvrent. Car ses couvertures des disques du label Rune Grammofon, qui ont donné lieu aux Boréales à un workshop graphique avec les étudiants des Beaux-arts de Caen plutôt nombreux au rendez-vous, nous ont aussi donné envie de poser quelques questions à cette jeune figure de l’art contemporain norvégien…

Chronic’art : Tes débuts ?

Kim Hiorthøy : A l’Académie d’art où j’étudiais, il y avait un studio-son, et peu à peu j’ai commencé à jouer dans les environs, au-delà de mes études, et à apprendre un peu comment marchait cette affaire. En quittant l’école, j’ai ensuite fait un petit CD comprenant mon travail réalisé pour l’examen.

Tes préférences et / ou influences musicales ?

Voir Step across the border, le film sur Fred Frith de Wener Penzel et Nicholas Humbert, en 90-92 je crois, ça ce fut tout de suite une grande inspiration. Mais peut-être moins en termes de style musical qu’en termes d’ouverture et de possibilité. Avant cela, il y a eu De La Soul, 3 feet high and rising, Tom Waits, John Lurie et les Lounge Lizards. Et après surtout l’impro américaine, avec John Zorn, Naked City, Boredoms, Arto Lindsay… Tout en écoutant en même temps Dj Krush et Dj Shadow et en découvrant Mo’ Wax. Et puis la Drum n’bass, que j’ai écouté pour la première fois en 93-94, dans les salles où j’allais voir ceux qui la jouaient. Mais l’événement le plus important dans ma vie musicale, c’est sans doute le fait que mon ami Helge Sten m’ait poussé à acheter un MPC 2000 en 1997…

Votre album Melke est très contrasté, parfois d’une puissante énergie (Ready 4 love or as if) ou alors plus contemplatif, voire « jazzy » (Doktor Watson). Quelle est la place du piano-guitare (Sane), des percussions (Det Blev Fel) et des voix sur cet album ?

L’instrumentation spécifique, ce n’est pas mon truc, je vais plutôt vers ce qui se présente, ce que je trouve. Si Melke est musicalement contrasté, je crois que ça vient plus du fait qu’il n’a pas été conçu comme un album en tant que tel. Il réunit des faces B, des remixes d’autres personnes, des « tracks » de compilations…

En quoi votre travail a été différent sur votre premier disque Hei ?

Hei se présente plus comme une unité. Certaines pistes étaient les premières que j’avais réalisé, d’autres ont été faites juste avant l’enregistrement du CD.

Et votre travail graphique, pouvez-vous nous le présenter ?

Avant même d’avoir quitté l’école d’art, je travaillais déjà en tant que graphiste en free-lance pour des jaquettes de CD. A la sortie de l’école, je suis parti à Oslo en continuant à bosser. J’ai alors fait des livres pour enfants, des posters de films, des magazines, des couvertures de livre… C’est un travail qui n’est pas vraiment lié à ma musique. Ce sont deux disciplines qui demandent des outils et des manières de travailler différentes. Dans la plupart des cas, mon approche du design graphique demande plus de travail que la musique.

Vos projets ?

Trois nouveaux titres vont sortir début 2004 : Hopeness, Live shet et For the ladies.

Voir ses prochaines dates de concert sur le site de son label
Lire la première et la deuxième partie du compte-rendu des Boréales 2003