Mémoire papier de Fluxus, design de l’architecte Alvar Aalto, cirque à balles à haute teneur zen : les objets reprennent leurs pouvoirs artistiques, dans ce second panorama du festival des Boréales 2003 de Caen consacré cette année à la Lituanie.

Esprit de traverse à l’honneur aux Boréales, où l’Université éphémère (à ne pas confondre avec l’Université populaire de Michel Onfray, toujours à Caen) du « Zebra crossing » tournait au pôle d’échange entre étudiants d’arts de Navarre, de Norvège et… de Lituanie. A proximité de leur sitting sous une bannière « Anti-Fluxus », un cabinet combine justement divers objets crées par Georges Maciunas, humoriste zen, « véritable cirque Barnum du mouvement » comme le définit son ami cinéaste Jonas Mekas (cf. photo + lire l’entretien fleuve qu’il nous a accordé dans Chronic’art #12, en kiosque). Quelles empreintes en termes de création écrites et plastiques la pratique Fluxus -que Maciunas a initiée dans les années 60-70 et accompagnée auprès de Nam June Paik, Robert Filliou, Georges Brecht, Lennon, Ono…- a-t-elle laissé sur le paysage contemporain ? Quelques planches tirée du journal Fluxus vous le diront : rien que par leur filiation avec certaines interventions contemporaines, elles aussi marquées par le jeu et l’interdisciplinarité. L’une propose 13 consignes, une par jour : serrer la main d’un maximum de personnes, écrire le nom de ces inconnus dans tous les lieux où vous passez, des toilettes, au métro, jusqu’au sommet des montagnes… D’autres documents du « festival sans fin » Fluxus, réinvestissant l’anonymat urbain pour le faire sourire non sans une force zen, comme cette série de timbres « Fluxpost » jouant du culte et de l’effigie. Les événements ou non-événements Fluxus, sans séparer les arts, « retournaient » aussi d’autres discours. Scientifiques par exemple, via un tableau d’analyse chimique décomposant les lettres de Maciunas en autant de molécules explosives (M comme Mass, A comme Arsenic…). Ou encore ce diagramme plaçant le « Néo haïku theatre, events and objects » de Fluxus au centre d’un tissu d’influences le liant aux « Gags » de Chaplin, aux « Ready-made » de Duchamp, au « Bruitisme » via John Cage, aux « événements naturels »… La nature donc, primordiale chez un cinéaste comme Jonas Mekas, se recrée au prisme du condensé : boîtes à cartes ou à jeux « Fluxgame »… Et se moque de notre tendance à compartimenter notre quotidien : un plan fait acte d’un autre « cabinet » cette fois-ci, celui de chaque membre Fluxus, quel papier toilette pour lui, quel type de siège pour untel ? Un humour Fluxus fondateur chez Ben, dont le message « Etre soi-même » trône face à ce cabinet de curiosités.

L’identité face à la Nature : un fil tendu qui se prolonge avec l’exposition des « Expressions Intemporelles » signées Alvar Aalto. Figure finlandaise la plus reconnue dans le monde, son travail d’architecte fut sans cesse complété, réactivé par ses créations design moins connues, souvent réalisées avec sa femme artiste Aino. Elles s’exposent ici, au détour d’une gamme de mobilier qu’il a dessiné.
Excellant dans les courbes de bois lamellé, celui qui considérait chaque objet comme un élément architectural à part entière (la « petite colonne », c’était le pied de chaise dans ses mots…) a toujours surpris par la pureté quasi écologique de son approche. Un modèle du genre, qui colle d’autant plus aux aspirations actuelles en faveur d’un design moins permissif, plus détendu. Nullement isolé, son mobilier interroge les bâtiments dessinés, ils s’imprègnent réciproquement et ouvrent finalement l’aménagement intérieur sur un dialogue harmonieux avec l’environnement naturel qui l’entoure. Bois, pierres et verre : la recherche d’un habitat par essence organique, chaleureux par simplicité, bien loin d’un fonctionnalisme excessif avec lequel Aalto a très vitre pris ses distances.

Tout juste un cirque ? Non, « un cirque tout juste » que les déçus de la poésie du chapiteau n’auront pas de mal à apprécier. L’objet y fait figure de médium de l’émerveillement, yeux écarquillés sur un automate à balles de ping-pong que Jani Nuutinen, ange finlandais à la candeur rondouillette, actionne en vous regardant patiemment. Que va-t-il se passer ? D’où surgira l’inattendu, la magie peut-être ? Des questions que les gestes de cet homme, débarqué sans toucher le moindre mot de français pour intégrer très vite le prestigieux Cirk 13 mis en piste par Phillipe Découflé, pose avec subtilité dans ce délicat spectacle. Nus pieds devant une caravane, Nuutinen éteint et rallume des lampes suspendues. Un jour et une nuit qui rythment ce morceau de bonheur minimaliste, comme le fait cette petite musique, celle de Trenet (La Dame de Béziers, La Mer), celle de cet elfe des balles aussi, dont les airs d’accordéon à la Yann Tiersen prennent part à un amour des objets qui a de quoi fasciner ici. Valse avec un tapis, dont les plis invitent un jonglage de balles. Caresses des mêmes balles avec le corps devenant lieu de réception, dans ses creux et ses courbes. Des Boréales très tournées cette année sur la force zen des objets…

Pour pressentir l’avenir de la mouvance Fluxus, voir le recueil des textes de Maciunas, Ben, Brecht, Filliou, Higgins, etc., réunis pour la première fois en France sous la direction de Nicolas Feuillie (Ed. Presses du Réel, 2002 – 20 euros).

Cabinet Georges Maciunas, jusqu’au 13 décembre 2003 au Centre d’art contemporain de Basse-Normandie (dans le cadre des rencontres Vidéo Art Plastique) – Renseignements : 02 31 95 50 87
« Expressions Intemporelles » : Alvar Aalto, jusqu’a 31 décembre 2003. Musée des Beaux-Arts de Caen – Renseignements : 02 31 30 47 70

Lire la première et la troisième partie du compte-rendu des Boréales 2003