Redécouvert par Aphex Twin et les Chemical Brothers, Bernard Fèvre aka Black Devil Disco Club ressort de l’ombre la soixantaine passée, à la faveur de l’album In Dub et au moment du retour de mode de l’italo-cosmic-disco. Une fierté nationale.

Chronic’art : Quelle est votre formation musicale ?

Bernard Fèvre : Ma formation musicale : cinq ans de classique, cinq de jazz, trois de rock, vingt d’autodidacte (qui concernent la new technologie) + quelques brûlures de fer à souder.

Comment en êtes vous arrivé à l’illustration musicale, puis à la disco/new wave ?

Je suis allé vers l’illustration musicale en espérant aller comme ça vers la musique de film, cela n’a pas fonctionné, j’ai pu seulement me nourrir : c’est déjà formidable ! La disco que j’ai fait n’intéressait personne, elle n’était pas vraiment de son temps, le terme new wave n’existait pas encore, je regardais à l’horizon des spectres que nous étions certainement très peu à voir.

Cosmos 2046, 2005 Stars Group et The Strange World of Bernard Fèvre sont des disques fabuleux mais cependant très rares. Y a-t-il une chance de les voir réédités ?

Mes vieux albums intéressent plusieurs labels qui seraient apparemment excités pour les rééditer, je pense qu’il serait loisible qu’ils communiquent entre eux et se mettent d’accord pour une collaboration appropriée ; à ce sujet je commence à réaliser actuellement des petites oeuvrettes sur la même orbite que celles des années 70, cela me plaît bien de renouer ce fil cassé.

Votre musique est très portée sur l’utopie et la science-fiction. Comment perceviez vous la musique du futur à l’époque de ces productions ?

J’ai toujours été utopiste tendance irréaliste, le rêve étant mon moteur de survie, je n’ai jamais pensé que l’avenir serait laid, même si les cauchemars font partie du rêve, je voyais la musique assez proche de ce qu’elle ait devenue, mais peut-être avec un peu plus de maigre et un peu moins de gras.

Vous sentiez vous proches ou influencés par d’autres groupes/compositeurs ?

En musique je n’ai pas d’influences particulières, je ne suis pas un grand acheteur de disques, j’aime entendre et pas vraiment écouter, comme je suis musicien depuis longtemps si j’écoute trop je rentre dans le groove et je perd l’aspect extérieur, un peu comme le peintre qui ayant terminé sa toile se retrouve à l’intérieur du tableau, il lui faut un certain temps pour retrouver une simple vision de son travail.

Aviez vous conscience d’être un précurseur ? Connaissiez-vous le label Factory en Angleterre ?

Je n’ai aucune conscience d’être précurseur en quoi que ce soit, j’ai joué mes rêves à une époque, puis la vie a fait que je les avais presque oublié et aujourd’hui des personnes (fans) m’indiquent que des trucs à moi leurs plaisent, c’est funny ! Je ne connais pas le label Factory, à présent je découvre tout un monde musical que j’ignorais, c’est très excitant . J’ai beaucoup plus fait de musique pour bouffer que pour le pied. Maman ! Je vais peut-être reprendre mon pied ?

Pouvez-vous raconter la genèse de Black Devil Disco Club et parler de l’état d’esprit qui vous animait à l’époque ?

Quand nous avons fait Black Devil Disco Club, mon idée était de faire danser sur quelque chose de basic (instinct) et d’emmener les danseurs dans un univers irréel, limite fantasmagorique, pour qu’il y ait autre chose en eux que le banal trémoussement du samedi soir, j’aimais l’idée du diable mais dans le sens « le diable au corps » c’est à dire le coté charnel, pas la fourche et les flammes ça c’est trop velcro.

Qu’est devenu Joachim Sherylee, l’autre moitié du projet ?

Joachim Sherylee qui m’avait écrit les textes, a disparu sans que je sache pourquoi ni comment, quelques temps après Black Devil.

Musax était-il votre propre label ?

Musax était le label de Jackie Giordano, je n’ai jamais été que producteur artistique.

Connaissiez-vous Aphex Twin au moment où Rephlex vous a contacté pour réediter Black Devil ?

Je ne connaissais pas plus Aphex Twin que le label Factory. Rephlex a dealé directement avec les éditions Amplitude (possesseur de l’édition Black Devil), on m’a prévenu après.

Comment avez vous réagi face à l’enthousiasme suscité par votre oeuvre plus de 25 ans plus tard ?

Quand j’ai appris que Black Devil Disco Club faisait « vibrer » hors de mes frontières je me suis rappelé que « nul n’est prophète en son pays ». Et je suis heureux que mon fils qui a douze ans voit son père un peu plus grand.

Quand avez vous composé les morceaux de 28 After ?

Je les ai repris grâce à une copie cassette que j’avais gardé de l’époque et qui comportait des chutes de studio non retenues. Les deux grandes difficultés pour moi étaient de retrouver le son d’hier avec la technologie d’aujourd’hui et d’écrire moi-même les textes anglais et de les chanter avec un accent qui le fait.

Les titres de certains de vos morceaux sont explicites (I Regret the Flower Power, Constantly no respect). Ressentez vous une forme d’amertume et/ou de nostalgie ?

Evidemment que je ressens une nostalgie, vingt-huit ans de moins c’est ÉNORME. Par contre je n’ai pas d’amertume, je viens d’un milieu ouvrier, et par la musique j’ai évité l’usine à perpétuité, bravo.

Quelles machines utilisez vous pour composer? Quels sont vos synthétiseurs de prédilection ?

J’aime toujours les machines Korg de 70 et d’aujourd’hui, j’ai plein de sons dans mon E-mu sampler, je passe rarement par le digital, j’ai la chance d’être un pianiste correct donc je joue beaucoup même les phrases répétitives, je me fais des challenges pour les réussir et pourtant je m’énerve… Et je peaufine tout ça avec Digital Performer dont je ne dois utiliser que 30% des capacités.

Propos recueillis par

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