Actrice depuis l’âge de neuf ans, Asia Argento signe avec Scarlet diva sa première réalisation. Un passage derrière la caméra plutôt détonant, que la jeune femme n’a de cesse de défendre, enchaînant les interviews avec un enthousiasme toujours renouvelé. L’héroïne de New Rose Hotel et du « Syndrome de Stendhal » répond à nos questions en compagnie de son actrice, Veronica Gemma.
Chronic’art : Scarlet diva, c’est plutôt une comédie acerbe, un film romantique ou un film d’horreur sur le monde du cinéma ?
Asia Argento : Rien de tout ça. Je ne suis pas critique et ça me fait vomir qu’on mette des étiquettes sur des films. Lorsque j’entends dire que les films de mon père sont des films d’horreur, je trouve cà très réducteur, parce que c’est tellement plus que de l’horreur pure. Ce sont des films sur l’excès et sur des tas d’autres choses. Voilà pourquoi je suis incapable de définir le genre de mon film.
Ca n’a peut-être pas trop d’importance.
En même temps, c’est très important. Un Français m’a dit que Scarlet diva, c’était de l’autofiction. C’est un terme qui me plaît. Grâce à ce type, j’ai quelque chose à dire. Merci à lui !
Tu crois très fort au pouvoir du cliché, du côté de l’ironie mais aussi de la beauté pure, comme dans la scène où Veronica se fait frapper par son amant avant de lui dire « je t’aime ». D’où vient selon toi cette puissance du cliché ?
Mon film est en effet un ensemble de clichés, parce que c’est ainsi que je vois la vie. On part tous du même endroit, on est confrontés aux mêmes erreurs de nos parents. On est sans cesse entourés de clichés. Par exemple, la séquence avec le producteur est un cliché typique du parcours de comédienne.
Mais les clichés peuvent aussi être très émouvants.
Parfaitement. Qu’est-ce que la vie, sinon un cliché ? Tout le monde expérimente une série de clichés, jusqu’au dernier : la mort.
Tu as déclaré que tes acteurs faisaient l’amour pour de vrai sur le plateau, mais, en même temps, tu choisis de ne jamais montrer les organes. Par pudeur ou peur de la pornographie ?
Je n’ai pas peur de la pornographie car, pour moi, la pornographie ne se résume pas à l’acte de pénétration. La pornographie, c’est la réalité. Même une vraie claque sur un visage, c’est de la pornographie. C’est une vérité indéniable, et c’est ce que je recherche au cinéma. En plus, d’un point de vue esthétique, je trouve qu’une bite et une chatte ne sont pas des choses si belles à montrer.
Elles peuvent l’être.
Oui, mais pas dans ma conception du cinéma. Quand je tourne, je recherche des choses très éloignées de ça. Mais je n’ai aucun problème avec la pornographie. J’ai d’ailleurs vu un tas de films de cul, et j’aime beaucoup ça. Idem pour les bites et les chattes. Je les adore. Mais dans le sexe, ce qui m’intéresse, ce n’est pas l’acte de pénétration. Ce que le sexe produit sur un visage ou sur un pied me paraît infiniment plus passionnant.
Veronica Gemma : Je suis complètement d’accord. C’est plus fort de voir ce que ça fait sur un visage.
Asia : Aurais-tu été contente que je montre ta chatte ?
Veronica Gemma : Non, je trouve que la scène est très belle comme ça. Il y a même un certain respect de la vérité de la femme, qui est amoureuse, qui se fait frapper et qui est prête à tout pour se faire aimer par ce mec. Ici, il ne faut pas forcément voir le sexe pour le comprendre, il vaut mieux voir son visage pour mesurer sa perdition totale.
Tu pourrais réaliser un film porno ?
On me l’a proposé. J’avais même une brillante idée de film porno, car les territoires de la pornographie n’ont jamais été explorés comme ils le mériteraient, hormis peut-être dans L’Empire des sens. Peu de films racontent des histoires intéressantes et importantes, des histoires qui vont au-delà de l’acte de pénétration. Je ne sais pas pourquoi mais rien n’évolue vraiment de ce côté-là. Beaucoup de producteurs -et pas seulement des types de l’industrie du X- voulaient que je fasse un film porno. D’ailleurs, beaucoup de gens souhaitaient que Scarlet diva soit un porno. D’un autre côté, certains distributeurs n’ont pas acheté le film parce qu’ils avaient lu le script et qu’ils pensaient justement que ça allait être un porno.
De toute façon, ça ne m’intéresse pas de choquer qui que ce soit. Je ne fais pas du cinéma dans cette optique. Je n’ai pas envie d’effrayer les spectateurs. Je préfère le reflet du sexe sur un visage, car quand je fais l’amour, je ne regarde rien d’autre que les yeux de la personne que j’aime. C’est ce que je montre, car c’est ce que je connais.
Tu as vu Nine lives of a wet pussy, le porno de Ferrara ?
Non, il ne veut pas qu’on en parle. Il ne l’a pas tourné par conviction. En fait, il aurait aimé ne jamais avoir tourné et vendu ce film, à cause de ses enfants. Comme il joue dedans, il ne voudrait pas que ses deux filles voient leur père ainsi.
Est-ce que tu penses que le sexe est le meilleur sujet pour parler de soi ?
Et toi, qu’est-ce que tu en penses ?
Je pense que c’est une question valable pour tout le monde.
Ca veut dire que tout le monde veut coucher avec moi ?
Non, non, non. Enfin, peut-être, je ne sais pas…
Ca serait charmant ! C’est une question bizarre, donc elle me plaît, mais en même temps, elle est un peu superficielle. Je ne tente pas de renier la nudité d’un corps. Mais j’essaie toujours de chercher au-delà d’une simple bite. L’âme de quelqu’un par exemple. J’essaie de rendre tout ça plus romantique.
Comment as-tu travaillé avec ta mère (l’actrice Daria Nicolodi, ndlr) sur Scarlet diva ?
Dans un vrai climat d’harmonie et d’amour. Je me sentais vraiment comme sa mère quand j’ai tourné le film. Je pense qu’en devenant sa mère et en comprenant sa fragilité, notre relation s’est nettement améliorée.
Le père, lui, est totalement absent du film. C’est un choix délibéré ?
Oui, et pour deux raisons. D’abord, parce que mon père était quelqu’un d’absent quand j’étais enfant. Surtout par rapport à ce qui touchait à ma vie intime, à ce qui se passait vraiment au-delà de mon travail ou de mes idéaux. Et d’un autre côté, il a toujours été un père génial, et je ne voulais pas le voir mêlé à cet horrible melting-pot de monstres qu’est mon film.
Mais ta mère, oui…
Mais ma mère, j’avais besoin de la tuer !
La DV, c’était un désir artistique réel ou tu l’as utilisée par manque de moyens ?
Les deux. De toute façon, je n’aurais jamais pu tourner avec de la pellicule. C’est impossible. J’aurais modifié le film, et c’est d’ailleurs ce que j’ai fait lorsque j’ai su que j’allais le tourner en DV. Parce que, à moins d’avoir des millions, on n’aurait jamais pu tourner un film comme celui-ci en 35 mm. Et puis je ne me sers que de la DV dans ma vie. Je me fous de l’esthétique du 35, c’est très loin de moi, comme une question obsolète.
Tu ne fais pas de différence entre les deux supports ?
Si, bien sûr. Mais pour moi, ce sont deux langages différents. Et je préfère incontestablement le langage de la DV. Si je devais tourner Barry Lyndon en DV, je pense que ça resterait Barry Lyndon.
Dans Scarlet diva, tu dis qu’en Italie, les actrices sont traitées comme des putes. Est-ce que passer à la réalisation était une sorte de revanche pour toi ?
Non, pas du tout. J’adore les putes. Je pense que ce sont les créatures les plus nobles au monde. Pour moi, une prostituée, c’est quelqu’un qui livre quelque chose de très intime et qui est payée pour ça. Mais je ne suis pas devenue réalisatrice pour me venger de quoi que ce soit ou pour me vanter, pavaner devant les autres acteurs en leur disant « je suis meilleure que toi, je suis plus intelligente, je suis une artiste et pas toi ». Non, j’ai fait ce film parce que j’aime diriger des récits et qu’en tant qu’actrice, c’est moi qui suis dirigée.
Scarlet diva fait référence à La Lettre écarlate de Hawthorne. Est-ce que toi aussi, tu te sens marginale par rapport au monde des actrices ?
Non, je ne me sens pas marginale, je me sens différente, étrange, comme un freak. Mais pas par rapport aux actrices, qui sont naturellement inintéressantes. Je me sens différente par rapport au reste de l’humanité. Mais peut-être que c’est pareil pour tout le monde.
Comment Scarlet diva a-t-il été accueilli en Italie ?
A l’italienne : c’est-à-dire de façon très snob et ennuyeuse. Davantage que le film, les gens m’ont critiquée en tant que personne, en essayant d’occulter l’indéniable beauté de mes images. On a essayé de me détruire, en disant que j’étais vulgaire, immorale. Ca m’a profondément blessée. Je ne voulais pas ce bordel, ces débats sur ce qui était juste ou faux. Je voulais seulement être aimée grâce à ce film, je cherchais de l’empathie et de la compassion. Mais les gens ont du « prosciutto » (du jambon en italien, ndlr) devant les yeux qui les empêche de voir correctement les choses. Ils ont trouvé le film érotique et nombriliste, voilà tout. C’est vrai, mais ce n’est pas que ça ; il y a des raisons qui expliquent mon nombrilisme et celui de mon personnage. Il s’agit d’une vraie recherche, et non pas d’une pure branlette autour de moi.
Est-ce qu’après avoir tourné avec Ferrara, tu as encore des rêves d’actrice, des désirs pour certains metteurs en scène ?
Non, je n’ai jamais eu d’ambition par rapport à ce métier. J’aimais Ferrara, et donc j’avais envie de travailler avec lui en tant qu’actrice, dans l’espoir de devenir une sorte de terroriste, de lui voler des choses, enfin, ce genre de conneries. Tout ça est stupide. Je crois que je voulais simplement faire ce film avec lui parce qu’il est génial.
Les Misérables : pour l’argent ou pour les rencontres ?
C’est vrai que l’argent est un facteur important pour moi désormais, parce que je veux me concentrer sur mes propres films et j’ai donc besoin de repos. Pour Les Misérables, j’avais très peu de jours de tournage, et puis le film était amusant à vivre : les costumes, des acteurs importants, et surtout la réalisatrice. C’est d’ailleurs généralement ce qui me décide à accepter un film, car je ne pourrais jamais tourner avec quelqu’un que je n’apprécie pas, même si le travail révèle parfois la vraie personnalité des gens. Josée Dayan est vraiment l’une des cinéastes que j’ai le plus appréciées au cours de ma carrière. C’est quelqu’un qui sait se servir d’une caméra, qui sait comment tenir son film, et puis elle aime les acteurs et prend un réel plaisir à raconter des histoires ambitieuses. Je sais que les gens pensent que c’est un truc purement commercial, formaté pour la télé. De toute façon, je n’ai pas la télé et je n’ai même pas vu le feuilleton.
Est-ce que tu as parlé de New Rose Hotel avec Virginie Ledoyen ?
Oui. Je lui ai demandé : « Pourquoi tu n’as pas fait ce film ? T’es folle ou quoi ? » Elle m’a répondu (Asia imite alors Ledoyen en prenant une petite voix minaudante) : « J’avais peur. J’avais peur de Ferrara. Je fais les films que je peux faire. Et puis, à l’époque, mon anglais n’était pas parfait. » Voilà ce qu’elle a perdu : la seule chance de sa vie.
Est-ce que tu as des modèles d’acteurs ou est-ce que c’est un métier que tu méprises totalement ?
J’adore les acteurs, mais en tant qu’actrice, ça m’est impossible d’avoir un modèle. Je ne pourrais pas être un singe ou reproduire des postures, des gestes préexistants. C’est très dangereux d’être un modèle pour quelqu’un. En revanche, j’admire beaucoup de gens. Louise Brooks, parce que c’était une incroyable icône de cinéma. Mais aussi Bette Davis, Lon Chaney, Charles Laughton. J’aime les morts.
Tu as réalisé le clip de la chanson La Tua Lingua sul mio cuore, du groupe Royalize, dans lequel tu chantes. Tu as aussi des ambitions de musicienne ?
J’adore la musique, mais je ferais mieux de fermer ma gueule. On peut entendre ma voix dans New Rose Hotel, et ce n’est pas…
Beaucoup de gens étaient pourtant admiratifs de ta performance.
Vraiment ? De ma performance de chanteuse ? Non, je ne referais plus jamais ça. En Italie, un critique a écrit qu’il avait détesté le film, mais que le pire, c’était de m’entendre chanter trois ou quatre fois… Il n’a vraiment pas supporté ça. Pour Royalize, je ne fais que parler, je ne chante pas. Il n’y a qu’Abel qui a réussi à me faire chanter.
Ce sont tes textes ?
Oui, mais je n’ai pas été créditée pour mon apport. Non pas que je pense récolter des droits ou de l’argent, mais j’étais fière d’avoir improvisé cette chanson, car c’est exactement ce que nous avons fait. Nous avons improvisé.
Propos recueillis par
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