Ex-bûcheron et ex-journaliste, Arto Paasilinna est aujourd’hui l’écrivain finlandais le plus connu au monde. Auteur du légendaire « Lièvre de Vatanen », il vient de voir son roman « Un Homme heureux » (1976) enfin traduit en français : un conte existentiel et décapant dans lequel un ingénieur malicieux et hétérodoxe met le grappin sur un petit village obtus. Le 20 novembre, il sera présent au festival « Les Boréales » à Caen. Interview.

Chronic’art : Tous vos romans, dont Un Homme heureux, se déroulent en Finlande. Quelles perspectives ouvre le fait d’écrire sur son propre pays ?

Arto Paasilinna : En écrivant près de soi-même, près du lieu où l’on vit, on peut atteindre, dans le meilleur des cas, une certaine forme universelle. A contrario, un écrivain a peu de chance d’y arriver s’il s’efforce coûte que coûte de toucher le plus grand nombre de lecteurs possibles dans tous les pays, en écrivant des « ouvrages mondiaux ». C’est l’esprit de l’homme qui, seul, peut toucher le monde entier. L’espace lié son imaginaire n’est pas synonyme ni ne se réduit à l’étendue ou aux frontières géographiques.

A propos d’étendues, vous avez longtemps vécu dans la forêt…

J’ai vécu parmi les arbres avant d’aller habiter en ville. Je réside aujourd’hui à Espoo, près d’Helsinki, mais je n’ai jamais oublié cette forêt finlandaise dont je connaissais les moindres recoins dans ma jeunesse. Je suis propriétaire d’un petit bois à proximité d’Helsinki, qui comprend un sentier de randonnée d’un kilomètre et quelques bâtisses de style ancien. Ce domaine s’appelle « Kuusilaakso », « la Vallée des Sapins ». J’y dispose d’un atelier d’écriture qui fait agréablement office de lieu de retraite. La nature et la forêt tiennent une place primordiale dans ma vie comme dans mon œuvre. Le thème de l’errance en pleine nature vierge me fascine toujours autant. Avec le temps, la forêt s’est personnifiée, elle est devenue semblable à une amie à la présence maternelle. Je m’y sens chez moi, à l’abri, protégé.

Vos romans comportent souvent une toile de fond historique. L’écriture vous a-t-elle permis, au fil des livres, de porter un autre regard sur l’histoire de votre pays ?

L’histoire, dans toute son horreur, m’a toujours passionné. J’ai cherché à l’observer, à l’interpréter du point de vue des petites gens, et non en portant sèchement un regard sur la « grande Histoire ». J’ai malgré tout écrit des ouvrages historiques sur la Finlande, comme Kymmenentuhatta vuotta (« Dix mille années »). Je me suis aussi penché sur son histoire forestière dans Sadan vuoden Savotta (« Campagne d’abattage »). Deux ouvrages denses, largement illustrés.

Quant à la « petite histoire », celle du quotidien, l’avez-vous mieux appréhendée grâce à votre carrière de journaliste ?

J’ai rencontré des milliers de gens ordinaires lorsque j’étais journaliste. J’ai écouté, rapporté leurs histoires. Un drame comme la destruction totale de la Laponie durant la seconde guerre mondiale a pris des couleurs et des profondeurs singulières à travers leurs récits. En Laponie, j’ai appris quelques phrases de sâmi mais pas suffisamment pour m’exprimer dans cette langue. J’ai beaucoup d’amis sâmi. Je n’oublie pas non plus les histoires que ma mère me racontait. Elle inventait de véritables contes. Depuis, j’adore les contes : ils possèdent un charme et une puissance tout à fait particuliers. On retrouve certainement ce qui les caractérise dans mes propres livres.
Pourquoi la fuite est-elle une constante dans vos récits ?

Tout simplement parce que choisir la fuite et renoncer à une résistance sans espoir peut apporter dans certains cas un réconfort, un soulagement. Cet acte marque parfois le début d’une vie meilleure.

La poésie, dont on ressent l’influence sur vos récits, apporte-elle ce genre d’espoir elle aussi ?

Dans les tumultes de ma jeunesse, j’ai écrit des poèmes en forme de sombres récits romantiques. Depuis, je n’y ai plus touché. En parallèle, je tenais mon propre journal où j’écrivais toute sortes d’histoires, des contes, des récits d’aventure et même de petites nouvelles illustrées par mes soins. Je ne les relis plus mais ces écrits ont sans doute été un premier apprentissage utile pour mon futur travail d’écriture. La poésie ne relève pas de mon domaine, mais j’en lis toujours et apprécie les poètes de talent, par exemple Bo Carpelan La Cour, grande voix poétique suédophone de Finlande, dont je viens de terminer un recueil de poèmes épiques publié en 1969. A l’image de ce poète national (inédit en français, ndlr), je crois que la littérature finlandaise pourrait davantage intéresser les lecteurs français. Mais il m’est difficile de recommander tel ou tel auteur parmi mes collègues finlandais. Je n’en ai ni l’autorité, ni la compétence nécessaires.

Vous vous intéressez aussi aux arts graphiques…

Etant jeune, j’ai goûté aux arts plastiques et tout particulièrement au graphisme. C’est une forme d’art instantané, modeste à sa manière, qui est d’actualité tout en restant convaincante et pertinente. Je travaille en ce moment sur un recueil de récits qui sera illustré, justement : intitulé Histoires dans Kuusilaakso, il porte sur le domaine forestier dont je parlais. J’y associe des réflexions personnelles et des considérations sur les événements de notre monde actuel. Je prépare aussi mon prochain roman. J’ai prévu de partir bientôt à Karlovy Vary (Carlsbad, célèbre ville thermale de Tchéquie, ndlr) pour réfléchir à cette nouvelle histoire. Et pour m’occuper de ma santé.

Propos recueillis par et traduits par

Arto Paasilinna, Un Homme heureux, Denoël (traduit du finnois par Anne Colin du Terrail ; voir la chronique dans Chronic’art #21)

Festival nordique festif et bon enfant, « Les Boréales » convient l’indispensable Paasilinna et proposent un débat avec lui le 20 novembre 2005, suivi d’une tournée dans les lycées et FNAC du coin les 21 et 22. Egalement au programme : des rencontres avec le danois Søren Jessen (édité chez Gaïa et 10/18), la norvégienne Herbjørg Wassmo ou encore Henning Mankell, star du polar suédois. Plus quatre expos photo et design jusqu’à Noël, un concert de Jan Garbarek, de la danse, du cirque… Plus d’infos sur www.crl.basse-normandie.com