Nos chouchous (remember : entretien fleuve de 10 pages en 2004 pour Sung tongs, « Person pitch », notre album de l’année en 2007…), Animal Collective se pose comme le groupe qui update énergiquement à chaque nouvel album sa propre formule, prenant toujours une coudée d’avance sur ses suiveurs (Dodos, Gang Gang Dance, Yesayer et consorts). Merriweather post pavilion est déjà un des grands disques de l’année 2009. Entre deux mandarines, interview d’Avey Tare (David Portner) et Geologist (Brian Weitz), dans la petite pièce dédiée de chez Pias.

Chronic’art : On sent beaucoup l’influence de l’album solo de Panda Bear, Person Pitch, dans ce nouvel album Merriweather post pavilion. Les chœurs et canons en entrelacs rythmiques, les boucles

Avey Tare : Il y a plusieurs raisons à cela, mais la plus évidente est que Noah (Lennox, ndlr) a composé plus de morceaux pour ce nouvel album. On peut diviser le songwriting : j’ai écrit plus de chansons pour Strawberry jam, car Noah était retenu par sa famille et par la composition de Person pitch, et il a plus participé à celui-ci. Mais aussi, notre approche dans la composition et le live, depuis que Josh a quitté le groupe pour les tournées, a été d’utiliser des nouvelles techniques qui pouvaient remplacer sa guitare, comme les samplers qui ont été utilisés sur Person pitch. Ce qui explique cette évolution de notre musique.

Vous vivez tous en des lieux très éloignés, Lisbonne, Washington, New-York… Comment faites-vous pour travailler ensemble ?

Avey Tare : Noah et moi nous sommes d’abord envoyés des démos, afin de voir un peu ce que nous avions en tête. Parfois, il s’agissait plus que de démos, des parties musicales que nous avions travaillées de notre côté, et chacun a commencé à ajouter ses idées là-dessus. Puis nous nous sommes réunis pendant deux semaines en mai dernier, après une tournée américaine où nous avons pu répéter et préparer les nouveaux morceaux en live. C’était une tournée dans de petites villes et nous avons trouvé intéressant de tester les nouveaux morceaux sur scène avant de les enregistrer. C’est comme ça que nous avons composé et orchestré huit des nouveaux morceaux de l’album. On a aussi composé No more running avant la tournée européenne, dans le van avec Brian, et quelques chansons sont des produits de studio, des parties enregistrées qu’on a montées. Lion in a coma est un morceau qu’on a composé ensemble en studio, c’était la première fois qu’on faisait ça. Il y a plus de parties improvisés que dans les albums précédents.

Vous improvisez beaucoup, généralement ?

Sur scène, oui. Il y a toujours des moments improvisés. On est d’ailleurs assez mauvais, en général, avec les débuts et les fins de morceaux, parce que nous relions toujours les chansons entre elles sur scène, et que ça nous perd un peu parfois…

Geologist : On n’est pas si mauvais !

Avey Tare : Non, c’est vrai, mais il n’y a jamais un « One, two, three, four », qui annonce le début du morceau suivant. Sauf pour quelques titres, comme Peacebones, qui a un début et une fin bien précises. Pour Also frightened, le début et la fin sont basés sur des improvisations que nous faisions sur scène, que nous avons rendues plus spécifiques en studio. Il y a aussi des transitions sur l’album qui relèvent de jams.

Geologist : On sait généralement ce qu’on veut pour chaque morceau, combien de temps il doit durer, le tempo, le nombre de mesures pour chaque partie. Mais il y a souvent une sorte de pont au milieu de nos morceaux qui nous permet d’improviser, sur scène, et dont on ne sait jamais quand et comment il va se finir pour que la chanson reprenne. On a essayé de refaire ça en studio pour la fin ambient de Daily Routine notamment, sans savoir comment on allait finir. Mais on n’a pas autant improvisé en studio que par le passé, parce que nous avions dit à notre producteur Ben Allen, qui vient du hip-hop, ce qui allait se passer sur le disque : beaucoup de choses, d’électroniques, de samples, beaucoup de fréquences basses notamment ; et nous comptions sur lui pour créer de l’espace dans le mixs avec tous ces ingrédients et gérer cette profusion. Nous comptions sur son habitude des mixs hip-hop pour gérer les fréquences graves particulièrement. La solution a été de séparer les éléments en différentes pistes, ce qui ne permettait pas beaucoup de prises live avec tout le groupe. Nous avons donc plutôt travaillé par couches successives, en revenant sur des prises, en additionnant les parties.

Est-ce que ce n’est pas votre album le plus pop, finalement ?

Avey Tare : C’est ce que beaucoup de gens nous disent en effet. Des morceaux comme My girls ou Guys eyes sont basés sur des beats assez forts, « près du sol », et sont structurés plus simplement que les chansons que nous avions l’habitude de composer auparavant, avec plein de parties : A, B, C, D, E, etc. Maintenant, il s’agit plus de chansons au format classique A-B, A-B, C-D, qui se répètent plusieurs fois…

Est-ce que vous auriez l’ambition de produire une sorte de pop moderne, de nouvelle pop ?

Quand on écrit des mélodies, des refrains, on pense forcément en termes de pop, même si je n’ai jamais vraiment réfléchi aux structures des morceaux en termes pop : « oh, il me faut tant de parties, un refrain, un pont ». On prend plutôt ce qui vient, on décide ensemble combien de temps chaque partie doit durer, comment une partie un peu bizarre doit s’intégrer au morceau, on fait ça de manière assez naturelle et spontanée. Sur Sommertime clothes, on a essayé de faire quelque chose de plus simple comme ça, et je crois qu’on n’a jamais été aussi loin dans la simplicité en tant que groupe…

Running girls ressemble presque à du Phil Spector, updaté pour 2009.

Geologist : On s’intéresse à la pop music, de toute évidence. On n’utilise pas forcément les structures classiques de la pop, mais notre musique est fondée sur les mélodies et un rythme assez fort, comme la pop.

Avey Tare : On est aussi très conscients de la production que requiert ce genre de musique. On en parle beaucoup entre nous.
On utilise ces enceintes, des retours, sur scène pour nous entendre, il y en a huit et ça nous permet de nous percevoir parfois comme un orchestre, un orchestre de pop music « old school », à la Nat King Cole, avec une sorte de crooner devant son orchestre. Et j’ai pensé que ce serait cool d’enregistrer l’album comme ça, avec notre son, notre style à nous un peu weird, mais comme un orchestre qui joue derrière une voix. Même si la voix est toujours un peu camouflée par le son sur nos albums. On pense forcément au « mur du son » de Phil Spector.

D’où vient cette volonté de parfois réellement camoufler les voix et les lyrics derrière la musique ou le sound-process ?

Geologist : Ce n’est pas facile, même pour moi parfois, de savoir ce qu’ils chantent (rires). On me demande parfois de quoi parle tel couplet dans tel chanson, je réponds souvent : « Je ne le sais pas moi-même, et je ne l’ai pas demandé à Noah ou à Dave, c’est leurs histoires… ».

Avey Tare : Ce n’est pas forcément intentionnel. Ca dépend des chansons en fait, de ce qui est bon pour elles. Sur Feels, on a voulu mettre les voix plus en avant dans le mix, et tout le monde nous disait que les lyrics étaient inaudibles. Je crois que ça dépend des points de vue, et que le nôtre est de ne pas mettre les voix trop fort. Ben Allen voulait que les voix soient plus en avant dans le mix, et nous avons beaucoup reculé là-dessus.

Geologist : Dave pense toujours que les voix sont trop en avant sur ce disque…

Avey Tare : Il y a une fine ligne entre ce qui marche et ce qui ne marche pas dans la manière de mixer une voix, et parfois elle n’est pas faite pour être au dessus de tout le reste…

Geologist : Sur Strawberry jam ou Campfire songs, on avait inclus un livret pour les lyrics, et moi je trouvais ça pas mal, n’étant pas chanteur, ne comprenant pas toujours ce que ces deux là racontaient. D’autant que nous avons désormais un public conséquent à l’international, pour des audiences qui ne sont pas anglophones… Mais je sais que certains lyrics de Noah sont très personnels, ou qu’il ne s’adresse qu’à une seule personne, et ne veut pas forcément que tout le monde comprenne…

Vous pourriez raturer les textes trop personnels sur le livret, de la même manière qu’ils sont rendus inaudibles par le mix…

Avey Tare : Oui, nous avons surtout pensé mettre les lyrics en ligne sur notre site, mais seulement les miens. Noah ne veut pas que quiconque lise ses lyrics… Moi, je suis assez fier de certains de mes paroles, donc ça ne me dérange pas.

De quoi parle la chanson Also Frightened, avec cette phrase « No one should call you a dreamer » ?

Avey Tare : Il y a plusieurs éléments qui composent chaque chanson, comme une image mentale. Il y aussi des significations personnelles plus profondes. En termes d’images, cette chanson évoque deux enfants qui courent dans la forêt, qui ont peut-être grandis dans la forêt, qui me rappelle ce bois autour de la maison de mes cousins, dans le Maryland, où j’allais quand j’étais enfant. Les paroles évoquent ces marches en forêt avec mon oncle ou mes cousins, avec la lumière dans les sous-bois, comme des flashs. Ca peut parler de ces deux enfants, qui sont aussi effrayés par les bois, mais ça peut parler aussi de mes deux parents, et de leur inquiétude face à la perspective de devoir nous élever, ma sœur et moi… Et quels genres de personnes nous étions à neuf ans (rires)…

Est-ce que il y a un désir d’ « oniriser » votre musique, de faire une musique de rêve, même dans ce genre de lyrics ?

Avey Tare : C’est ce qu’on a dit de nos premières productions, de nos démos : que c’était de la « musique pour rêveurs », dans les nuages, dans l’espace… Je crois que c’est lié assez concrètement à la musique, aux textures, aux ambiances, plus qu’aux lyrics. Je conçois plutôt mes paroles comme des narrations, des fictions. Celles de Noah sont plus concrètes, moins surréalistes encore…

Vous utilisez, pour l’aspect visuel de cet album, plus qu’auparavant, une imagerie psychédélique très ancrée dans les années 60. Est-ce que c’est une manière d’assumer, enfin, cet héritage ?

Avey Tare : En ce qui concerne les photos, c’est la première fois, en fait, que nous avons pu organiser une session photo… Je ne crois pas que nous assumons le fait d’être vu comme un groupe psychédélique, inspiré par les 60’s. Nous utilisons ces motifs géométriques parce qu’ils nous plaisent, même s’ils sont plus référencés, et différents de l’imagerie plus bordélique, disons, que nous utilisions auparavant. C’est juste une manière visuelle différente de présenter le psychédélisme.

Geologist : Nous ne sommes pas intéressés par un « revival » psychédélique en tout cas. Les 60’s et les 70’s sont déjà arrivés, donc quel intérêt ? La musique psychédélique à l’époque était une manière aventureuse de regarder vers le futur, et pas de rester bloqué sur le passé, mais au contraire de mélanger des éléments du passé pour en faire quelque chose de futuriste et à la fois très actuel. Les groupes qui font du revival aujourd’hui feraient mieux de s’inspirer de cet esprit que de reproduire les recettes des 60’s… En même temps, je n’ai rien contre ça, s’ils veulent sonner rétro et faire cette musique : la plupart des groupes punks sonnent rétro également…

Ca touche beaucoup de jeunes en fait, ce revival psychédélique… Il y a cette expression qui dit : « Si vous êtes nostalgique des années 60, c’est que vous ne les avez pas vécu ».

Geologist : C’est vrai, et on peut dire la même chose des vêtements des années 80… Je peux être nostalgique des 80’s mais je ne porterai jamais des croix autour du cou ou des bracelets africains (rires)…

Avey Tare : Le mélange des genres et des cultures caractérisait aussi le psychédélisme des 60’s : le jazz, la musique africaine, la musique contemporaine étaient intégrés à la pop. Je pense que c’est aussi ce que nous essayons de faire, d’être à l’écoute du monde qui nous entoure, d’en nourrir notre musique, de le mélanger en quelque chose de personnel, de nouveau.

Maintenant que vous avez cette longue carrière et tous ces albums derrière vous, vous avez beaucoup d’imitateurs, vous êtes devenus des références esthétiques en quelque sorte. Comment le vivez-vous ?

Avey Tare : Ca va. Je ne m’en suis rendu compte que récemment, mais c’est vrai que nous avons une histoire, une évolution. Auparavant, nous ne faisions qu’avancer, travailler, progresser, sans trop réfléchir. Et récemment, je me suis retourné sur notre parcours, et c’était comme si c’était la première fois que je posais un signe dans le paysage (« landmark ») et que je voyais tout le chemin parcouru. Sans doute parce que les gens commencent à nous parler en ces termes… Mais on ne va pas s’arrêter pour autant. On travaille beaucoup, on explore. On ne sait rien faire d’autre de toutes façons (rires).

Propos recueillis par

Lire notre chronique de Merriweather post pavilion.
Animal Collective sera en concert vendredi 16 janvier 2009 au Bataclan.
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