Compte-rendu du Festival d’Angoulême 2009, par notre envoyé spécial, Romain Brethes.

Commençons donc, une fois n’est pas coutume, par le palmarès 2009. On va encore dire que nous sommes insupportablement pétris de contradiction, et que, décidément, cet art du contre-pied n’est qu’une posture sans épaisseur ni contenu. Expliquons-nous. Après Dupuy et Berberian, c’est donc le génial Blutch qui a été élu par ses pairs Grand Prix de la ville d’Angoulême. Pas de discussion, il le mérite amplement, nous l’avons toujours défendu, notamment pour signaler qu’il était temps que sa réputation dépasse (comme celle de De Crécy) le cercle des amateurs éclairés, et plus encore celui des auteurs de bande dessinée. On peut d’ailleurs raisonnablement penser que les autres Grands Prix avaient derrière la tête de donner un bon coup d’accélérateur à une carrière dont certains pourraient penser qu’elle n’a pas véritablement commencé. Premier point, un tel calcul, si tant est qu’il y ait eu calcul, n’a pas grand sens. Car Blutch est un laboratoire permanent, expérimentant sans cesse de nouvelles voies, ne se fixant jamais, déconcertant jusqu’à ses plus fidèles admirateurs. Le manque de (grand) public est donc d’une certaine manière le prix à payer pour cette liberté de création frénétique, qui fait par exemple de Peplum, son adaptation (très libre, pour le coup) du Satyricon, ou de Mitchum, le lieu de toutes les audaces graphiques, d’authentiques chefs-d’œuvre, tous genres confondus, de la fin de siècle écoulée. En ce sens, en le récompensant de cette charge, n’est-ce pas prendre le risque de voir ce maître perdre la voie qu’il s’est fixée, ou plutôt qu’il ne s’est pas fixée. Ce sont peut-être là des arguties qui ne convaincront pas grand monde mais ça va mieux en le disant. Deuxième point, faut-il croire les rumeurs qui faisaient état d’une short (short) list entre Blutch et… Art Spiegelman ? On ne présente plus l’auteur de Maus, qui a fait basculer la bande dessinée dans l’art adulte, aussi décisif pour le médium qu’il peut être parfois agaçant de bonne conscience façon yankee liberal. Mais nous étions assez séduits par l’alternance qui semblait s’instaurer entre la consécration d’une génération dorée (Trondheim, les Du(puy)Ber(rberian)) et la reconnaissance méritée accordée aux auteurs « historiques » (Munoz récemment). Les Grands Prix ont fait leur choix, on ne reviendra donc pas dessus.

Pour ce qui est des albums récompensés, le résultat a donné lieu à un vrai casse-tête avec Stéphane, mon acolyte de Chronic’art. Nous avions couronné dans notre top ten le Pinocchio de Winshluss, le Spirou d’Emile Bravo, le Martha Jane Canary de Blanchin et Perrissin (quasiment dans le tiercé de tête en fait), et les voilà récompensés par le Festival. Faut-il s’en réjouir ? Oui, évidemment. Mais le problème vient plutôt de chez nous. Comme le dit Stéphane, si l’institution nous rattrape, ne faut-il pas réfléchir au fonctionnement de notre rubrique. Nous nous quittons hier soir sur le quai à Montparnasse plongés dans cet abîme de réflexion. Petit retour en arrière sur le Festival lui-même. Chro team toujours sur le pont : Julien au commande du Manga Building avec Nathalie B, et en particulier de la très belle exposition consacrée à Mizuki (hélas sans originaux, les Japonais sont décidément impayables), Martin-Pierre aux Rencontres Internationales (j’ai raté sa rencontre qui s’annonçait prometteuse avec Melinda Gebbie, Madame Moore à la ville et auteur du surestimé Filles perdues), Stéphane aux rencontres du Nouveau Monde et sur France Inter (où il a trop souvent dit « hé bé » aux débuts de ses phrases, façon local gersois). De mon côté, je me suis occupé de l’expo Bitterkomix (un grand merci en passant à ma scénographe, Mireille, et à mon régisseur, Pascal, qui s’avère aussi un comparse des Poincelet-Chabroux, le couple le plus hype de la bande dessinée française), consacré à ce collectif sud-africain explosif, avec quelques petits problèmes de censure assez vite réglés (ou non, c’est selon, on peut lire à ce propos le post vengeur sur le blog chez Cornélius). Les Bitterkomix seront d’ailleurs ce soir à Beaubourg pour une rencontre exceptionnelle avec les quatre auteurs présents à Angoulême (Joe Dog, Conrad Botes, Karlien de Villiers et Joe Daly, l’auteur du démentiel The Red monkey dans John Harding, on en parle dans le Chro #52, en kiosque), à 19h00 à la BPI. Pas de surprise véritable pour cette 36e édition (bien réussie par ailleurs, faut-il le souligner, notamment en terme de fréquentations), à part peut-être les Coréens de Sai Comics, qui étaient dix à faire une exposition in progress au Musée de Papier, et l’annonce par Vincent de la création d’une collection érotique chez Delcourt. On souhaiterait Crepax, Vincent parle de Shulteiss. Un illustre oublié, comme beaucoup d’autres.

Le Palmarès 2009 :
Grand Prix d’Angoulême : Blutch
Meilleur album de l’année : Pinocchio de Winshluss (Requins Marteaux)
Essentiels Angoulême : Spirou – Journal d’un ingénu d’Emile Bravo (Dupuis)
Martha Jane Canary de Christian Perrissin et Mathieu Blanchin (Futuropolis)
Lulu femme nue de Etienne Davodeau (Futuropolis)
Tamara Drewe de Posy Simmonds (Denoël)
Le Petit Christian 2 de Blutch (L’Association)
Révélation : Le Goût du chlore de Bastien Vivès (KSTR)
Patrimoine : Opération mort de Shigeru Mizuki (Cornélius)