Compte-rendu au jour le jour par Romain Brethes du 33 Festival International de la Bande Dessinée à Angoulême.

Samedi 28 janvier 2006

Un drôle d’invité en ce samedi, que je n’ai jamais vu en quinze ans de Festival : la neige. La ville est progressivement paralysée et après une nouvelle Rencontre Internationale avec les Finlandais, ou plutôt les Finlandaises (Kati Kovacs, Katia Tukiainen et Tehri Ekebon, accompagnées du génial Matti Hagelberg), je manque à plusieurs reprises de me briser les deux jambes dans les rues envahies par le gel. Un jovial Finlandais, qui a assisté à la rencontre, me glisse alors : “Angoulême, plus froid que la Finlande”. Je croise Mimi Mathy entourée de deux molosses (probablement pour ne pas être écrasée sous les bulles), et accueille Enki Bilal pour le sommet des Rencontres Internationales. La salle est archi pleine (plus de 350 personnes) et les mécontents refoulés à l’entrée sont contraints de suivre les débats sur une télévision. Le Bilal est un curieux animal à sang froid. Visiblement ravi d’être là, il laisse progressivement transparaître une passion contrôlée lorsqu’il parle de l’ex-Yougoslavie, au coeur de son actuelle tétralogie débutée avec Le Sommeil du monstre. Lucide devant l’évolution de son style (“J’ai perdu des lecteurs ces dernières années”), ce que confirme des ventes en baisse constante, il évoque également avec beaucoup d’à-propos ses rapports au cinéma et sa difficulté à maîtriser le temps et sa représentation, dans un genre où les “séquences doivent se succéder le plus rapidement possible”. Immortel, un film bien plus réussi qu’on a bien voulu le dire, laisse parfois affleurer une poésie contemplative à la Tarkovski dont plus personne ne peut se targuer aujourd’hui (pas même Soderbergh). Le charme opère, le public est content, et même Martin-Pierre, notre chroniqueur attitré à Chro (cf. Chronic’art #23, en kiosque) qui m’avait convaincu de lui confier un billet après son accrochage intéressant avec Spiegelman l’année dernière, avoue son faible pour une oeuvre qui réhabilite la science-fiction. Ce que reconnaît Bilal, pour qui Houllebecq et Dantec contribuent à légitimer un genre en souffrance dans la culture française. La fatigue commence à se faire sentir et je reste un long moment amorphe dans la salle VIP à me gaver des restes du buffet et à deviser avec le photographe officiel du festival, qui me dit que des jeunes l’ont pris pour un vieux con lorsqu’il a demandé qui était Jim Lee : “Pour moi, le comics c’est Kirby et Ditko. Et puis au moins, moi, je connais Bilal pour ses bandes dessinées et pas pour ses films”. Retour aux bureaux du Festival, où six téléphones sonnent simultanément toutes les 45 secondes et où je trouve le Yakari dédicacé pour ma fille. Hier, Derib, le dessinateur de cette série au succès incroyable depuis quinze ans, m’avouait avoir vendu plus d’un million d’exemplaires de Jo, une bande dessinée didactique sur le Sida, et me tenait un discours barré sur la sexualité et le désir comme énergie cosmique. Jodorowsky s’était-il glissé provisoirement dans ce corps ? Dans un coin des bureaux, j’ai également le plaisir de voir Benoît le DA du Festival, dont le répondeur est saturé et qui affiche une grande lassitude. Il faut dire qu’il se murmure dans les milieux autorisés que la fréquentation est en très nette baisse en raison des intempéries : “le debriefing sera long”, se contente de souffler l’ami Benoît. Un dernier coup de fil à Clément, le Directeur de la Gare de Lyon, qui prépare dans le plus grand secret un événement bande dessinée et qui est venu à Angoulême tâter le terrain (il le tâte plutôt bien puisqu’il prend un coup avec Gipi, vainqueur du prix du meilleur album) avant LA nouvelle du dimanche matin : Lewis Trondheim (aka Frantico pour les derniers pas au courant) a été nommé Grand Prix du Festival et succède donc à Wolinski. Une question m’étreint alors. Et l’ami Joan S. ? On verra bien l’année prochaine…

Lire les comptes-rendus du jeudi 26 janvier 2006 et du vendredi 27 janvier 2006