En dépit des promesses du titre, le documentaire de Pierre Thoretton n’abordera jamais l’histoire d’amour de cinquante ans d’Yves Saint Laurent et Pierre Bergé sous l’angle des feux de la passion mais bien plutôt d’un partage d’intimité. Sur la base d’un projet de documentaire autour des nombreuses maisons du couple naquit assez vite pour Thoretton, photographe et plasticien de formation, l’envie d’interroger cette relation de manière plus exclusive et romanesque. Le film ainsi prend notamment appui sur la vente par Bergé de leur impressionnante collection d’œuvres d’art, édifiée au fil de ces longues années, pour installer un dispositif de narration certes classique – alternance entre témoignages « au présent » de Pierre Bergé et d’autres proches du couturier, partageant le souvenir des hantises de l’homme contrastant avec sa reconnaissance publique, et images d’archives redonnant provisoirement corps à l’absent – mais cohérent de par l’évidente absence de prétention « spectaculaire » du projet. Yves-Saint Laurent – Pierre Bergé, l’amour fou, s’il ne se veut aucunement un documentaire pour initiés, interpellera sans doute prioritairement les vrais fans de haute couture, ceux pour qui le travail de Saint Laurent témoignait à lui seul de la personnalité singulière, tourmentée mais joviale de l’homme. C’est en tout cas l’impression qu’il reste après coup, tant ce film peine à s’imposer comme autre chose qu’un hommage de plus, estimable certes, sur le fond comme la forme, mais sans grand enjeu. À moins de se focaliser sur un élément précis, celui sans lequel ce film n’aurait sans doute pas lieu d’être : la place de Pierre Bergé.

Le regard, les mots de ce dernier, à la fois amoureux et sans concession quant à la réalité de la vie avec Yves Saint-Laurent, figurent le souvenir de l’homme de sa vie tout en insinuant puis confirmant progressivement la perspective d’un après. La proximité discrète de la caméra de Thoretton contribue surtout à la mise en scène d’un adieu se formulant d’autant plus dans les images d’aujourd’hui que les archives, maisons vides et autres tableaux mis aux enchères se veulent signes d’une existence effective de cette histoire. Reste à savoir si pareille entreprise appelait nécessairement au cinéma, si de cette cérémonie intimiste, il fallait forcément faire un long-métrage. Une certaine bienveillance à l’égard de la longévité de cet « amour fou », l’intimidant patrimoine Saint Laurent, la sobriété du film, inviteraient volontiers à rappeler que jusqu’à preuve du contraire, rien n’interdit à un genre aussi peu balisé que le documentaire de faire feu de tout bois, déceler dans le moindre micro-évènement de son quotidien comme dans toute affaire du monde matière à témoignage ou clin d’oeil (de Tarnation de Jonathan Caouette à Irène d’Alain Cavalier, des pamphlets zéro nuance de Michael Moore à This is it, émouvant dernier salut à l’icône Michael Jackson). Là où un autre positionnement, plus perplexe, conduira à accuser poliment réception des quelques révélations accompagnant cet Amour fou, avant de refermer la porte sans fracas, s’excusant presque d’avoir dérangé.