Par une heureuse coïncidence c’est au moment où Les Cahiers du Cinéma s’intéressent à nouveau à la Nouvelle Vague française, que sort sur les écrans un film qui renoue esthétiquement et idéologiquement avec les conventions de la politique des auteurs. Comme l’exprimait François Truffaut dans sa période critique, un film « pour être réussi, doit exprimer simultanément une idée du monde et une idée du cinéma ». Xiao Wu aurait pu être tourné dans les années soixante en France, car hormis les portables et les yeux bridés, le film s’inscrit dans l’univers du Godard d’A bout de Souffle ou du Cléo de cinq à sept de Varda. En ancrant un destin individuel, celui de son héros, dans une certaine réalité, Fenyang, une petite ville de la Chine actuelle, Jia Zhang-ke parvient à créer une métaphore de la solitude et du désœuvrement à partir de la banalité du quotidien. Utilisant des comédiens non professionnels, les habitants de Fenyang eux-mêmes, il fait entrer dans cet univers de réel une semi fiction, par l’intermédiaire du personnage de Xiao Wu, un pickpocket professionnel, qui revient dans sa ville natale après une longue absence inexpliquée. A travers la vie du héros se dessine un portrait extrêmement réaliste de cette ville. On s’approche parfois très près des frontières du documentaire, notamment grâce à l’usage de la caméra portée et de longs plans séquence : le cinéaste dresse un constat sans complaisance de Fenyang, avec sa misère, son trafic, son désœuvrement, le contrôle de l’état par le biais de la police. Et grâce à l’obsédante musique des hauts parleurs dans la rue, des radios, des télés et des karaokés. A ce propos jamais film n’aura aussi bien mis en avant le désespoir contenu en filigrane dans l’usage du karaoké. Sa présence obsédante l’inscrit dans l’usage quasi quotidien des Chinois mais nous révèle aussi l’artificiel de ses chansons dégoulinantes de promesses et de larmes d’amour. Jia Zhang Ke suit son héros combler sa solitude par l’hypocrisie et le sordide des karaokés sans âme et des danses mécaniques. Car la solitude est le maître mot de l’histoire de Xiao Wu, qui sous des dehors assurés (signalons la présence époustouflante de Wang Hong Wei à l’allure à la fois nonchalante et nerveuse), laisse parfois percer une timidité d’esseulé. La longueur des plans -Jia Zhang-ke semble systématiquement rajouter cinq secondes à chaque plan- intensifie cette impression d’errance vécue par le héros, s’attardant sur des bouts de murs lézardés, ou insistant longuement sur l’attente sans but de Xiao Wu au bord d’un trottoir. Une impression terrible de vie vide naît du regard de Jia Zhang Ke qui trouve ici le rythme adéquat pour filmer son héros dans sa ville.