Soudain le vide : au milieu d’une kyrielle de pachydermes au moins présentables (Abrams, Snyder, Verbinski, Blomkamp), World War Z fait figure d’insignifiante pause-pipi avant de reprendre les choses sérieuses. On se demande souvent à quoi rêvent les blockbusters, s’ils sont capables de parler de nous, et s’il faut donc les prendre au sérieux. Bien sûr que oui, pour certains. Mais il faut se rappeler aussi que d’autres, fades et adipeux, se satisfont d’une pensée qui n’est que vecteur de légitimation. En venant entacher un été riche en superproductions incarnées, l’intrus World War Z crée l’occasion de vérifier ce constat, de distinguer le geste sincère (même si parfois lourdaud) d’un Snyder, et le taylorisme scolaire d’un Marc Forster. Ironiquement, la nullité de World War Z tient justement à ses efforts pour simuler une pensée authentique : Forster et Damon Lindelof livrent clés en main un éventail d’entrées thématiques, de quoi orner la couverture de Courrier International.

 

Sidekick, ou plutôt moitié diabolique de J.J. Abrams, le scénariste Damon Lindelof apparaît ainsi comme l’artisan d’une récupération machiavélienne. Un plan de comm’ s’élabore à travers son écriture : anticipant la promotion du film dès sa gestation, le script de World War Z prémâche les lectures politiques.  Le trauma du 11-Septembre ne s’y invite pas comme refoulé, mais comme ingrédient : c’est la triste idée que se fait Lindelof du gage de qualité, qui fera de son histoire la Rolls du blockbuster. Contrairement aux pères Spielberg, Lucas, Cameron, cette génération est consciente du symbolisme rattaché au cinéma populaire, consciente des délires interprétatifs des fanbases, de mieux en mieux représentées sur le Net. Ce qui permet aux plus malins de fabriquer un succès, non plus seulement en façonnant les esprits avec des motifs-types (la définition même du blockbuster : l’anticipation d’un engouement), mais en préméditant jusqu’à sa réception intellectuelle. Idée bien plus sournoise : il ne s’agit plus d’écrire à l’avance la réaction des masses, mais bien le dossier de presse. La destruction de l’Amérique se présente donc comme réponse scolaire à une tendance, captée par le baromètre habile de Lindelof. Lequel compile les inquiétudes de l’air du temps dans une leçon d’eschatologie pour geeks exigeants (tout y est, de Romero à Emmerich, avec les familles de zombies correspondantes).

 

Mais Lindelof est coupable d’un autre cynisme. Il est également conscient de l’ADN de l’écurie Abrams, de son chic pour travailler des matières anciennes, recartographier de vieux mondes. Il sait donc que les scénarios elliptiques, voire postmodernes, sont plus facilement acceptés  de sa part : Abrams et lui ont été célébrés pour leur fiction faite de conventions. Lindelof en tire un profit de tir-au-flanc, se permettant des sautes impromptues, des trouées incohérentes, parfois vulgairement colmatées (phénomène déjà tangible dans le script de Star Trek Into Darkness). Incohérence qui rend d’autant plus ridicule cette apocalypse en toc : le public est censé avaler de facto ce réalisme de JT, par écrans CNN interposés, ce monde-reflet grossier qui évoque au mieux du Soderbergh gâteux. Tout comme il est censé accepter que Brad Pitt, relooké grunge, incarne l’archétype paternel de la famille nucléaire américaine (sa coupe mi-longue racontant son altruisme et son passé d’ancien père courage de l’ONU).

 

Surfant sur l’idée que le blockbuster est désormais accepté comme chose sérieuse, qu’il a suffi à Nolan et Abrams de se rendre cyptiques pour avoir l’air intelligent, Forster et Lindelof se vautrent dans une grandiloquente gravité – qui a le mérite de rendre le film hilarant par endroits. World War Z tente d’exploiter une maturité, voire une certaine postmodernité du blockbuster, mais subit plutôt un bond de vingt ans en arrière : à voir Pitt dans une chambre froide, affrontant des zombies renâclant et claquetant des dents, on se croirait tombé dans un remake branquignol de Jurassic Park, où des humains en frusques remplaceraient les raptors.