Portrait de femme emprunt de cinéphilie, intrigue à tiroirs où fantastique et fantaisie post-movida se tiennent la main… oui, nous sommes bien chez Pedro Almodovar. Depuis quelques films, le spectateur assidu pressent un manque d’oxygénation, un trop plein de familier comme si l’oeuvre presque trop aboutie stagnait dans une perfection formelle à la limite de l’aliénation. Impossible par exemple, de ne pas appréhender La Mauvaise éducation dans cette perspective, perclus du doute tenace que la seule mécanique d’Almo ronronne trop bien qu’au final le doute soit levé. Et puis non, finalement, les films se retournent au moment où l’on ne si attend pas, ils se brisent, se tâchent ou redoublent de virtuosité et de charme. L’intérêt de Volver tient justement dans cette capacité à jouer au chat et à la souris avec le spectateur. Davantage exercice de relâchement que de drague soutenue, le film, plus sobre qu’à l’accoutumée, se permet paradoxalement tous les excès : déliquescence, ennui, clichés, tout cela finit cependant par germer.

Dans son cas, parler de film de la maturité paraît galvaudé, il n’empêche qu’Almodovar n’a ici plus rien d’un formaliste complaisant. La sérénité selon lui tient autant à une tenue formelle impeccable qu’à cette manière de salir cette perfection graphique par excès de suavité. Pour un cinéaste lambda ou un faux vieux (Christophe Gans), cela engendre un bouillonnement sirupeux au fond très adolescent, alors que pour le madrilène joufflu, la souillure assèche l’ensemble et lui redonne une contenance. Il y a dans ce cinéma, une respiration intrinsèque : alors que le film sombre dans la complaisance narcissique, la boursouflure scénaristique ou formelle qui s’ensuit lui permet de retrouver du souffle, du moins une justification existentielle.

L’histoire se résume ainsi en une suite de coups du sort et de défis à relever : cadavre à faire disparaître, dignité à retrouver, espace à investir. A la manière frénétique qu’a Pénélope Cruz de lustrer la tombe de ses parents avant de s’improviser restauratrice, cheftaine ou petite fille, Almodovar construit son film brique après brique. L’intérêt ne consiste plus à recouvrir de rimmel son intrigue, mais à affronter pleinement ses désirs contradictoires de cinéma. Faire revenir d’anciennes muses et les intégrer au présent, tâtonner souplement pour que chaque élément troue sa place à l’image de Carmen Maura, de moins en moins spectrale au fil du temps, comme retravaillée patiemment durant le film. Et c’est cette confiance en l’imperfection qui confère à Volver une vivacité nouvelle et insoupçonnée, principe à la fois très posé et peu rassurant pour l’avenir tant il semble aussi clairement tracé. Une chose est sûr, Pedro aime toujours autant les trompe-l’oeil et il n’en reste pas moins difficile de ne pas s’y laisser berner.