Filmer l’intelligence au travail n’est pas une mince affaire. Fredi Murer (réalisateur du fameux L’Ame soeur) prend la voie du conte pour narrer l’enfance troublée d’un surdoué et évite du coup la représentation souvent calamiteuse du cerveau en marche.

Un conte, d’abord parce que le film part de la petite enfance de Vitus. Avec ce gamin haut comme trois pommes, sorte de petit frère aux yeux noirs d’Ana Torrent (la géniale actrice de Cria cuervos et L’Esprit de la ruche), Fredi Murer réussit dans les premières scènes du film à rendre sensible un âge lointain et merveilleux où les couleurs semblent plus vives. Cet âge d’or sans emphase égrène des scènes fondatrices, touchantes parce qu’elles sont bricolées et parce que les objets y sont rois : un cerf-volant, un disque vinyle, une chauve-souris en tissu, les colliers toc de l’amoureuse. Les relations de l’ado baby-sitter apprentie rockeuse et du génie en herbe trouvent un équilibre émouvant et alerte qu’on aimerait voir se prolonger plus longtemps.

Le temps de l’âme soeur pourtant ne dure pas. Et si le film maintient sans discontinuer son côté home-made (le père inventeur de prothèses auditives, le grand-père menuisier) il perd tout de même beaucoup de son charme. Le gamin, à 12 ans, devient un malin qu’on a envie de baffer tellement il est parfait. Il rencontre les maux symptomatiques de l’EIP (enfant intellectuellement précoce) : insatisfaction, instabilité, insolence et le fameux « désir d’être un enfant comme les autres ». Parcours plutôt laborieux et sans surprise. Pénible aussi de baigner dans le berceau doré de la Suisse : génie et réussite, même combat. Issu d’un milieu bourgeois, le petit Mozart devient un petit monsieur en costume trois pièces, boursicoteur richissime et roi des comptes.

Certes, le conte veille et les invraisemblances accumulées arrivent à un tel point d’exagération qu’elles atteignent parfois une démesure étonnante. Vitus, homme miniature dans un immense loft vide, amoureux d’une grande fille délurée et super-héros vengeur de son papa. Fredi Murer s’amuse à changer d’échelle avec une liberté jubilatoire. Mais pourquoi alors finir par tout boucler sur la famille et le retour à l’ordre ? Les dernières scènes déplaisantes consacrent le bonheur béat des parents satisfaits et la rédemption du rejeton premier de la classe.