Russell Crowe en trader impitoyable retrouvant le goût des choses simples dans un Lubéron de films américains. Le postulat d’Une Grande Année est trop aberrant pour que Ridley Scott en fasse un grand film. Son cinéma ne supporte pas la faiblesse, c’est comme ça. Prenez la scène de d’ouverture de Gladiator : malgré le souffle épique du genre, sa mise sous tension correcte, tout s’effondrait à la vue des peaux de bêtes 100% acrylique des ennemis. Ou Kingdom of heaven : organisation des plans et découpage digne d’un maître architecte, le film serait tout bonnement somptueux s’il n’était affadi par la bouille d’Orlando Bloom et sa présence d’endive braisée. C’est qu’on ne refait pas Ridley Scott, grand habilleur, mais banal créateur.
Une Grande année s’affirme ainsi comme la limite officielle du maniérisme publicitaire, déterminant le point de non-retour où l’élégance se change invariablement en vulgarité. Qu’est ce que la pub au fond ? Faire aimer un produit à la cible désignée. Le produit, c’est Russell Crowe, la France, la comédie, éventuellement une leçon de choses sur la modernité et ses incidences sur la vie sociale. Pour la cible, ça se complique. Si le spectateur-type s’avère avant tout un citoyen du monde comme l’est officiellement Ridley Scott, son identité reste floue et va jusqu’à brouiller les intentions du film. Pour qui ces vieilles pierres provençales customisées à la lumière filtrée, ce Didier Bourdon cracra en maillot de l’OM ? Pourquoi cette fantaisie champêtre ou pittoresque (Russell Crowe fait vroum vroum en Smart en écoutant Alizée), cette ode à l’hédonisme pour riches emballée comme une réclame Panzani ? Pour le beauf, le faux-cultureux, pour Scott lui-même, qui possède une maison de vacances dans le coin ? Mystère total.
On trouve pourtant la clé au cours d’une séquence romantique où Russell Crowe emballe Marion Cotillard un soir de concert au village. Derrière l’orchestre, un écran géant (marque inconnue) sur lequel défilent des images de Et Dieu créa la femme, nanar mémorable pour avoir pressenti les années 60. L’air du temps, Ridley Scott s’en fout. Mais pour lui, l’opportunisme est un art forcément publicitaire consistant à faire passer un désodorisant senteur lavande pour une fragrance délicate ou l’inverse ; plus largement, d’imposer au culturel, à l’intime, une dimension mondialisante et industrialisée.
Une Grande année se structure ainsi en foire aux grandes marques où l’expression du moindre sentiment emprunte aux standards de la communication. Summum de rivalité franco-britannique, la partie de tennis entre Crowe et Bourdon est d’abord pubarde : Fred Perry (le polo de Russell C.) contre René Lacoste (la casquette de Didier B.), deux champions pour autant d’empires textiles. Les souvenirs d’enfance empruntent aux campagnes Herta ou Werters originals avec une touche d’Homme moderne, la romance lorgnant davantage vers la grammaire Saint Moret-Perrette et le pot au lait. C’est évidemment risible, mais le procédé aliène tellement le film que ce dernier tend à une sorte de collage cynique, de cauchemar éveillé dans lequel toute image trouve son cliché. Dommage que Ridley Scott soit le dindon de sa propre farce, persuadé ici de retrouver forme humaine, entre deux fresques épiques.