Treeless mountain s’ouvre comme un lointain écho au Ponette de Jacques Doillon. Deux fillettes coréennes de 6 et 3 ans, délaissées par une mère obnubilée par la recherche de son ancien mari, se voient contraintes de vivre chez leurs grands-parents à la campagne. Livrées à elles-mêmes, les deux gamines tentent de s’adapter à ce nouveau quotidien rural, dans l’attente d’un retour éventuel des parents en cavale. En parallèle de Yuki et Nina, sorti il y peu, Treeless mountain s’attache à un couple d’actrices en bas-âge, optant pour un canevas scénaristique et un tournage élémentaires et misant tout sur une confiance absolue dans le volontarisme de ses interprètes. Le film de Suwa et Girardot péchait par sa tentation psychologisante à souligner l’hermétisme qui peut séparer la sphère adulte de celle de l’enfance. So Yong Kim semble au contraire se conforter dans une certaine absence de recul. L’accession au devenir adulte, qui structure la plupart des chroniques enfantines, ne se pose pas ici uniquement en constat de l’éclatement familial et de ses dommages collatéraux. La fable ne manque certes pas de cruauté à tenir en éveil l’espoir constant des jeunes filles de retrouver leur foyer. Le caractère illusoire de leur croyance, matérialisé par plusieurs séquences où les deux fomentent nombre de plans ingénus pour faire revenir leur mère, ne s’alourdit d’aucune concession utopique. Mais cette fatalité douce-amère s’accompagne d’un refus de la dissertation. Treeless mountain s’épanouit dans cette capacité à savoir concéder à ses créatures le droit d’une conscience réduite au monde, une permission à ne pas tout saisir du réel, voire à se laisser balloter par celui-ci.

L’objectif de So Yong Kim enserre les deux enfants et joue les cocons maternels de substitution. Constamment filmées en caméra-épaule et très gros plan, les gamines règnent sur un espace filmique miniature et ne laissent pénétrer que de brèves incursions du monde dans leur intimité. Il faut peu de temps pour acclimater l’attention à cet autisme visuel. Car l’essentieldemeure à chaque plan : la préservation d’une innocence dont le cadre protecteur du film demeure un rempart inamovible. Aussi bruts que concis, le dépouillement des mises en situation et le refus de toute performance sauvent Treeless mountain des habituels passages obligés du genre. Les enfants ne semblent pas invités à jouer les attractions d’un sempiternel freak show pour jeunes prodiges de salon. Bien qu’impressionnant, le naturel des jeunes actrices ne schématise heureusement pas la démarche. Le style lorgne vers le documentaire pour mieux aboutir à une dilatation imaginaire de la durée, à force de contemplation d’un monde clos. Au final, le temps présent semble la seule échappatoire que peut offrir la réalisatrice à ses deux héroïnes Et si le monde de Treeless mountain s’arroge le droit à la puérilité comme seule enclave, ce n’est que pour mieux filtrer les nuisances d’une sagesse trop assurée.