Quel bilan de santé pour le néo-polar français ? La réponse, loin de quelques action-movies franchouillards sortis en grandes pompes (Nid de guêpes, bientôt Entre chiens et loups, le premier thriller-techno d’Alexandre Arcady), se trouve peut-être dans un terreau beaucoup plus ancestral, que Total Kheops représenterait idéalement. Entre Nestor Burma et re-visitation Pastis 51 de French connection (Marseille, ses trafiquants, sa mafia, mais aussi ses comptoirs de bar et ses vieux pêcheurs folkloriques), Total Kheops afflige comme seuls ont affligé, avant lui, des films comme Le Margouillat ou certains épisodes de L’Inspecteur Derrick.

Richard Bohringer incarne Fabio, flic malgré lui revenu sur les traces de deux anciens compagnons de braquages. Autour d’eux, une femme fatale (Marie Trintignant) aux allures de madame Navarro. Entre chaque scène de repas, une multitude de vignettes comme autant de cartes postales mal cadrées sur la petite vie portuaire de Marseille. Sur fond de fantasmes absolument ineptes de thriller post-série noire, l’on parle ici en vrac de multiples scènes d’action possibles (trafic d’armes, de drogue, règlements de compte, meurtres) autour de bonnes tables de bord de mer ou sur des plages ensoleillées.

Plombé par des flashs-back d’un autre âge, écrasé sous un déluge de plans paralytiques, Total Kheops se fait l’étalon d’un nouveau Dogme du polar en réaction à la production pyrotechnique américaine. « On est loin du polar standard, bourré d’explosifs, de cascades et d’effets spéciaux » lâche Bévérini dans une note d’intention qui en dit long sur les enjeux d’une telle croûte : retour à la vieille-garde, au ringard pur et dur, à l’ascèse mystique du plan fixe dans un récit de granit asséché. Entre considérations métaphysiques et sociales totalement gratuites (Fabio, vieux séducteur triste, lève une prostituée qui lui servira d’indic, Flavio, policier désenchanté, arrête un Beur dealer mais a bien précisé auparavant qu’il n’est pas raciste comme ses collègues) et ode rancie à un hypothétique passé du cinéma français, Total Kheops erre, tel un vieux canot en bois pourri, dans une grande tourbe du je-m’en-foutisme et de la ringardise fière d’elle-même.