« La vie, c’est comme une boîte de chocolat, on ne sait jamais sur quoi on va tomber ». Telle était il y a 16 ans la morale de Forrest Gump, film culte pour moult raisons (immense chou à la crème pour certains, merveilleuse épopée américaine pour d’autres), ayant au moins réussi à faire de la vue de l’esprit d’un benêt la matrice d’un blockbuster à visage humain. Partant de l’idée pas moins fantaisiste que la vie serait équivalente à une partie de backgammon, The World is big a à son tour le mérite de ne pas craindre le ridicule, d’aller jusqu’au bout d’un programme on ne peut plus simpliste, mais au final pas si déplaisant. Le second long métrage de fiction du Bulgare Stephan Komandarev suit ainsi sur près de deux heures la longue ballade en tandem d’un grand père et de son petit-fils amnésique, une traversée de l’Est européen se confondant avec la remontée progressive des souvenirs du jeune homme. Niveau esthétique, du tout simple : parallélisme entre le présent du voyage – avec émerveillement devant la beauté de la vie, goût des autres et tutti quanti – et le passé de la fuite de la Bulgarie jusque dans l’Allemagne des parents d’Alex, victimes d’une oppression d’Etat, et de ce dernier enfant. Le film ne repose dès lors plus que sur l’explicitation, via un trauma originel, du comportement intrigant d’Alex. The World is big ne se veut pas plus complexe que cela, Komandarev semblant nous inviter dès le départ à faire confiance à une unique théorie : de même qu’au backgammon, tout évènement d’une vie demeure le fruit d’un relativisme universel, d’un lancer de dés soumis aux seules humeurs du destin.

Dans le rôle du grand père, le kusturicien Miki Manojlovic a l’élégance de ne pas en faire des caisses, dans le registre de l’homme investi de la grande mission de sa vie : rendre son histoire à son désormais seul héritier (les parents d’Alex sont eux décédés dans l’accident inaugural), lui transmettre une philosophie (celle de la vie format backgammon, donc) justifiant à elle seule son engagement dans cette escapade sans embûches, mais forcément éprouvante pour un homme de son âge. Dans le rôle d’Alex, le sympathique Carlo Ljubek, dont l’essentiel du jeu tient sur une forme de béatitude devant l’impression que oui, tout ce que me montre ce vieux bougre me dit effectivement quelque chose, que oui, la vie est un miracle (pour reprendre l’axiome d’un fameux cinéaste serbe). D’une certaine grossièreté visuelle, assez lourd du strict point de vue narratif, The World is big a néanmoins le mérite de ne jamais promettre plus de sens que ce qu’il donne, de savoir rester à sa place de feel good movie sans prétention. La question n’est même plus de savoir si le film est idiot, mais de prendre cette idiotie, cette bêtise d’un message lourdement humaniste à sa seule hauteur, ni plus ni moins. Se refusant courageusement à prendre acte du réalisme, à émettre ne serait-ce qu’un instant l’hypothèse d’un échec dans la transmission, d’un inachèvement du parcours, Komandarev jouera jusqu’au bout la carte du positivisme forcené : oui, the world is big, la vie est un miracle, une grande partie de backgammmon où chacun saura retomber sur ses pieds (même au-delà de la mort, sachant que quelque chose des parents d’Alex restera pour toujours en lui). Libre à chacun de goûter pareilles convictions avec son propre seuil de tolérance. Toujours est-il qu’à deux trois moments, mine de rien, ce potentiel de croyance butée fait son petit effet.