L’inspiration versatile du sympathique Stephen Frears engendre parfois d’heureux hasards. Il arrive aussi qu’elle se perde sur les sentiers de la médiocrité. Et pour cause : The Hi-Lo Country est sans doute le plus mauvais film de Stephen Frears. D’abord parce qu’il est le juste aboutissement d’un pari perdu. Il fallait être fou, naïf ou aveugle, pour croire que le temps du western n’était pas révolu. Frears aurait dû tirer les leçons du très beau Little big man, qui annonçait clairement la fin du genre. Avec ironie et talent, Arthur Penn nous montrait, à travers ce testament du western, combien notre regard sur les choses avait évolué, et s’avérait de moins en moins réceptif à la simplicité et à la neutralité du western (la bataille de Little big horn, dans le film, rappelle sans équivoque la guerre du Vietnam). Du tolérable Danse avec les loups au partiellement réussi Impitoyable, en passant par l’insoutenable Mort ou vif (rappelez-vous, avec Sharon Stone…), le western moderne n’a plus rien d’authentique. Il ne peut s’affranchir d’une pesante sophistication (tantôt revendiquée, comme chez Eastwood, tantôt pas), qui nous rappelle à chaque fois combien la pureté originelle du western a bel et bien disparu. Cette évidence, Stephen Frears n’a pas voulu l’admettre.

L’histoire qu’il met en scène, celle d’une femme aimée par deux cow-boys que lie une amitié fraternelle, est la marque de son entêtement, de sa nostalgie aveugle. La simplicité de ce dispositif scénaristique semble traquer ce qui fit toute la force du western : un espace désertique, quelques hommes, soit la genèse du cinéma, voire de toute fiction ; le temps où le Far-west était une gigantesque parabole simplifiée du monde, la vie réduite à sa forme la plus essentielle et la plus laconique, un paysage sur lequel tout pouvait être édifié. Mais même en s’offrant l’un des scénaristes de Peckinpah, Frears ne pouvait remonter le temps. Cette limpidité métaphysique du western, resservie deux générations plus tard, nous ne l’interprétons que comme une vaste niaiserie, une blague ; nous ne pouvons plus y croire. Frears n’a d’ailleurs pas osé aller jusqu’au bout : son Far-west est celui de l’après-guerre, ses cow-boys n’ont plus de flingues à la ceinture, et les industriels véreux ont remplacé les guerriers comanches. Cynisme, ou réflexion sur le western, me direz-vous ? La période et l’histoire se prêtaient effectivement à un film critique, satirique, et même à un hommage intelligent rendu au western. Hélas, Frears a préféré continuer à jouer aux playmobils… Reste le talent de Patricia Arquette et de Woody Harelson, dont les personnages attachants auraient pu nous convaincre, s’ils n’avaient évolué au sein d’un univers fantomatique et désuet, devenu sans intérêt pour un public désenchanté.