Le premier défaut de The Good german n’est pas de son fait : il vient après le génial Black book de Verhoeven dont les thèmes voisinent ceux du film de Soderbergh, à ceci près qu’il s’agit, ici, du Berlin de l’immédiate après-guerre. C’est peu dire que le film souffre de la comparaison avec Black book. Les hasards cruels de la programmation et de la production sont ainsi faits. Blague à part, si The Good german n’est pas un très bon film, c’est entièrement de sa faute, ou plutôt de son réalisateur, dont le cas ne cesse de nous interroger. Jake Geismer (George Clooney) est un correspondant de guerre de retour dans l’ancienne capitale du Reich, après y avoir passé plusieurs années à diriger une agence de presse. Années où il avait fait la connaissance de la mystérieuse Lena (Cate Blanchett), qu’il va retrouver dans des circonstances troubles. Le meurtre en zone russe d’un caporal américain, petit ami de Lena, va enclencher une mécanique qui va peu à peu mettre à jour une effroyable vérité, tout comme l’hypocrisie cynique des dirigeants américains, jusqu’à la révélation finale qui laissera Geismar exsangue.

Drôle de réalisateur, Soderbergh, dont chaque film semble être le fruit d’une expérience (au sens où Resnais et Kubrick ont fait de chaque film le lieu d’une expérience unique), mais dont il ne reste au final qu’une pure surface plus ou moins arty, plus ou moins plaisante. Soderbergh, à n’en pas douter, est un auteur, mais un auteur sans vision, dénué d’imaginaire et d’obsessions fécondes. Le sens de la répétition, de la variation, c’est sans doute ce qui fonde un auteur et plus encore un cinéaste. Et ce qui finit par faire oeuvre. De ce point de vue, on retrouve dans The Good german cette même thématique d’un homme perdu dans un univers dont il peine à comprendre les rouages, comme c’était le cas de Jeremy Irons dans Kafka, Michael Douglas dans Traffic ou George Clooney dans Solaris. Mais quelque chose empêche ce simple thème de s’épanouir dans une forme (et alors, si ce thème vous intéresse, autant se plonger dans Lost, l’addictive série de JJ Abrams,), de se détacher de la simple anecdote pour trouver son sens profond. Le noir et blanc référencé de The Good german, c’est un peu comme la HD de Bubble ou les filtres colorés de Traffic : un sens de l’habillage (comme on fait de l’habillage d’émissions) et de l’ergonomie (les films de Soderbergh sont toujours confortables) qui ne vient jamais troubler ou provoquer le spectateur.

Curieux sentiment que de voir les personnages de The Good german se balader, non dans un environnement réel (ou, comme on, dit diégétique), mais dans un défilé d’images. Ici dans Le troisième homme de Carol Reed (pour les ombres expressionnistes), là dans Allemagne année zéro de Rossellini (pour les extérieurs cramés, pour ce clone du petit héros qui apparaît même en guise de clin d’œil cinéphile), mais jamais dans The Good german de Steven Soderbergh, comme si le film jouait, à son corps défendant, de sa propre absence. Car au fond, ce qui fait le plus cruellement défaut à The Good german, c’est le sens du détail, la présence d’images minoritaires, de celles où viennent se nicher les obsessions et la répétition du même qui font les cinéastes. Dans Black book, c’était par exemple cette image fugitive de l’héroïne juive, peu de temps après un événement tragique, assise en amazone à l’arrière d’un vélo, relevant ses jambes tout en souriant à des soldats allemands en train de la siffler. On cherche en vain ce genre de détails dans le film de Soderbergh. A quoi bon, alors, reproduire l’image irradiée et crue de Allemagne année zéro qui était liée à des conditions historiques et des moyens de tournage, si ce n’est même pas pour chercher à la réinventer, la plier à son univers ? Dans The Good german, pas d’imaginaire, rien que de l’imagerie.