Star Trek: Sans Limites commence par deux très belles idées de scénario : de retour chez Starfleet après une énième pérégrination interstellaire, James Kirk avoue à ses supérieurs qu’il est blasé de récurer sans fin le wild space, au point de penser à raccrocher la tunique de capitaine pour se mêler de bureaucratie tranquille. C’est en creux la problématique de tout troisième épisode : comment injecter une sensation d’ivresse et d’euphorie à un spectacle déjà vu deux fois, alors même que le coeur n’y est plus vraiment, que la motivation et la fougue du revival ne sont plus qu’un lointain souvenir ?

Mais l’angoisse est peut-être plus profonde : dans quelques jours, Kirk aura en effet le même âge que son père, naguère capitaine lui aussi. Impossible d’oublier l’ouverture magnifique du reboot de la saga, durant laquelle ce grand inconnu héroïque sacrifiait sa vie aux commandes de son vaisseau pour permettre à son fils de pousser son premier cri d’orphelin. Entretemps, le rejeton s’est hissé à la hauteur de la légende, et risque bientôt de la dépasser : mais quel goût peut avoir l’aventure s’il ne s’agit plus de se mesurer aux pères ?

On le voit, l’entrée en matière de ce nouvel épisode s’accorde idéalement avec le calendrier existentiel de JJ Abrams qui, après avoir remaké ET (Super 8) et rafraichi Star Wars (Le Réveil de la Force), avec un succès aussi irrésistible qu’attendu, se retrouve au pied du mur : est-il un vrai cinéaste ? n’est-t-il qu’un enlumineur  ? Pour l’heure, la réponse se fait attendre : aucun projet original prévu pour le grand restaurateur de l’esprit Amblin et Lucasfilm, trop occupé au chapeautage à courte distance de franchises fantastiques à l’imaginaire déjà bien campé (à Star Wars et Star Trek, on peut ajouter Cloverfield et une tripotée de séries).

Confié à Justin Lin, Star Trek : Sans Limites est donc surtout l’occasion de mesurer la sphère d’influence du bienveillant mogul, qui s’était emparé de cette saga bavarde et protocolaire pour l’adapter de force aux impératifs de l’entertainment moderne (vélocité, horizontalité, légèreté). De ce point de vue, le film est plutôt une réussite, un summer blockbuster sans prise de risque ni accroc, comme rassuré de faire courir son aventure sur les terrains balisés par les précédents. Le récit hypothèquera d’ailleurs très vite sa problématique réflexive, toute la seconde partie s’employant à l’illustration plate et nerveuse d’une basique rescue mission, où il ne s’agit plus de se demander comment marcher sur les traces des glorieux aïeux mais juste de retrouver les membres de son équipe.

Rompu aux histoires d’amitiés viriles et de métal hurlant, le faiseur stakhanoviste de la série Fast and Furious ne se fait donc pas prier et allège rapidement le cargo méta-symbolique (on abandonnera même le mythique USS Enterprise, comme on couperait le cordon ombilical) pour mieux bricoler un modeste éloge du team work et de la fraternité entre les espèces. Rien de désagréable, rien qui ne soit oublié dans la minute non plus. Libéré de tout impératif de grandeur et d’innovation, la saga rentre donc dans le rang en tentant de sauvegarder comme elle peut la vista des débuts (le sympathique finale sur les Beastie Boys), avec la certitude tranquille de repartir quoi qu’il en soit vers l’infini du grand spectacle, non plus pour briller d’un nouvel éclat mais simplement pour faire proprement le boulot.

1 commentaire

  1. Vous êtes un peu a la ramasse sur cette critique si je peux me permettre. Je trouve ça assez surprenant que Chronicart ne parle pas du motif de la frontière qui revient tout le temps dans le film avec Kirk qui carrément construit la frontière avec sa moto. Le vaisseau retrouvé et réanimé par l’équipe qui, comme par hasard, porte le nom du père de Justin Lin, motif que les films sur l’Amérique travaille souvent. La chanson des Beastie Boys utilisé comme métaphore de la domination culturelle américaine qui élimine l’ennemie. Bref, vous passez un peu à coté d’un film qui parle plutôt bien du mythe américain pour vous concentrez sur la question de savoir si Abrams (qui fait a peine partie du projet) est un auteur ou un escroc. Question qui, au vu du dernier Star Wars et de Into Darkness, ne devrait plus faire de doute. Escroc.

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