Sicilia !, le 21e film de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet (leurs premiers essais, Machorka Muff et Non réconciliés, datent de 1963 et 1965), dure à peine 1 heure. Il montre un homme de dos, dans un port d’Italie, qui discute avec un pauvre vendeur d’oranges. Puis l’homme prend le train. Au fil des conversations qui se tiennent dans son compartiment, on comprend qu’il est de retour au pays, en Sicile, après plusieurs années d’exil. Puis il est sur le seuil de sa maison natale. Sa mère l’accueille en s’écriant « Silvestro ! » et le prend dans ses bras. Ils déjeunent ensemble, en évoquant des souvenirs, non sans hausser le ton. La dernière séquence montre Silvestro rejoignant au bout d’une place ensoleillée un tailleur de couteaux qui aime philosopher, et nous rappelle qu’ »il ne faut pas confondre les petitesses du monde avec les offenses du monde ».

Les dialogues et les situations de Sicilia ! proviennent du très beau roman d’Elio Vittorini, Conversations en Sicile, écrit dans les années 30, en pleine Italie fasciste. Et pourtant, Sicilia ! n’est pas une adaptation académique comme a pu l’être, dans le pire des cas, le Germinal de Claude Berri. Dans ce film, le vent qui souffle, un paysage montagneux, même un morceau de poisson dans une assiette comptent autant et de la même façon que le dialogue de l’écrivain. Est-ce le rabaisser, comme on pourrait le penser un peu vite ? Non, et c’est peut-être exactement le contraire, c’est peut-être le respecter vraiment, car le dialogue est ici traité comme une matière, comme la pierre, comme le vent. Et nul doute qu’Elio Vittorini aurait pris pour un grand compliment qu’on lui dise : « j’aime autant votre roman que j’aime ce vent que l’on entend souffler dans les montagnes de Sicile ».

Quelques spectateurs trop impatients se demanderont probablement pourquoi, dans Sicilia !, J.M. Straub et D. Huillet ont inclus trois lents panoramiques sur un même paysage avec un cimetière et un village en contrebas. Mais pourquoi expliquer ? Straub disait, à l’époque d’Othon* (1969) : « je crois que nous devons faire des films qui n’ont aucune signification, parce que sinon on fait des cochonneries (…). Il faut qu’un film détruise à chaque minute, à chaque seconde ce qu’il disait la minute précédente, parce que nous étouffons dans les clichés, parce qu’il est important d’aider les gens à les détruire ». Et simplement ce paysage, à bien le regarder et bien l’entendre, est chaque fois différent, chaque fois unique, chaque fois magnifique, et c’est tout.

Certains prétendent que l’avenir du cinéma, c’est Matrix, d’autres que c’est Sicilia ! (entre autres films des Straub). Seulement, pour trancher, il faut aussi aller voir Sicilia !, car on sait que la loi du grand nombre n’est pas souvent la meilleure. Et puis ce film n’a presque aucun équivalent dans le cinéma actuel (exceptions faites pour les films de Rivette, Godard, Akerman…). On verra dans Sicilia !, en faisant bien attention, un immense amour, beaucoup de colère, et la Sicile, bien sûr !

* Lors d’une récente rétrospective, la cinémathèque française a projeté plusieurs Straub-films, dont « Othon ».