Afrique, années 00, nouvel épisode. Shooting dogs, du docile Michael Caton-Jones (Père et flic), retourne la manne d’Hôtel Rwanda, afro Shindler’s list de l’an dernier qui évoquait le génocide Tutsi via un petit groupe de survivants et le portrait d’un héros ordinaire. Le décor est donc identique, sans la conclusion heureuse : de l’hôtel, on passe à une école religieuse, petit havre de paix dont la solidité est sans cesse remise en cause par l’indifférence internationale. Grosse différence toutefois : le point de vue de Michael Caton-Jones qui ne cherche pas l’empathie africaine mais qui reste plutôt à sa place, celle d’un faiseur occidental qui connaît par coeur les ficelles de la fiction et l’imagerie hollywoodienne. Ainsi il découvre un monde inconnu et assume son ignorance, voire son manque absolue de distance. Heureux hasard ou, au contraire, maîtrise préméditée, toujours est-il que cet académisme lui permet de répondre à la grande question avec une droiture bienvenue : pourquoi n’avons nous rien fait ?

Point de vue ONG tous azimuts. Un jeune étudiant propret est d’abord enchanté par le folklore du tiers monde avant de perdre ses moyens lorsque les massacres commencent. Son mentor, un vieux missionnaire, tente de ne pas perdre son latin ni son sens moral et exhorte l’ONU, grand corps impuissant, à désarmer les milices. Petit panel auquel il faut ajouter la presse, endurcie par les reportages de guerres passés, qui confesse ne pas s’identifier aux victimes rwandaises « parce qu’elles sont trop loin de nous » et depuis trop longtemps cantonnées au subconscient de la misère occidentale. Un génocide trop cliché, c’est donc bien cela que Michael Caton-Jones constate lucidement. Malgré leur quota d’authenticité (tournage à Kigali dans les lieux mêmes du carnage relaté par le film), chaque image en reste à une horrible mais banale illustration, validant toujours l’impuissance des uns et la barbarie des autres comme état normatif du monde. Les acteurs de Shooting dogs sont tous très obéissants : le jeune homme a honte de ses privilèges et pleure, le prêtre s’énerve contre l’absurdité des lois, puis se sacrifie en chrétien face à une caméra d’une inquiétante neutralité.

Le point de vue rwandais reste alors un mystère pudique, abyme opaque entre froideur et étrangeté que Caton-Jones explore ponctuellement sans grand succès : les foulées au ralenti d’une jeune femme en fuite qui encadrent le film par exemple, ou le personnage de François, petit guide docile en temps de paix puis chef de guerre démoniaque, autant de ficelles tristement usagées. Le film est plus convaincant lorsqu’il reste dans l’incompréhension totale, un peu hébété, presque hypnotisé par une rationalité toute proche qu’il ne parvient pas à palper. On pense à la séquence du départ de l’ONU où un père de famille demande sereinement aux soldats de les tuer plutôt que de les laisser aux machettes des milices Hutus. Toute l’intrigue de Shooting dogs se trouve contenu dans ce plan : chercher en vain la fusion entre les peuples sans jamais y parvenir contre toute attente rationnelles. Presque l’antithèse au fond, du Nouveau monde de Malick : les peuples ont beau partager le même plan, ils ne se mélangent désespérément pas.