Ce n’est pas la modestie qui étouffe Xavier Beauvois. Après des débuts prometteurs salués par la critique, le réalisateur s’était éloigné de l’âpreté de Nord pour s’égarer dans les méandres romanesques et parsemés de clichés d’un N’oublie pas que tu vas mourir, qui à force de vouloir parler de tout finissait par ne plus rien dire et laissait le spectateur ébahi devant ce mélange peu ragoûtant de naïveté maladroite et de prétention exhibitionniste. Pour son troisième film, le jeune homme, qui doit fort regretter ne pas porter le nom d’un narrateur des Evangiles, a placé la barre encore plus haut. Effectivement, après Bach et Pasolini (pour n’en citer que deux), il a choisi -en toute simplicité- de nous livrer un Selon Matthieu.

Fier du cortège de références qu’il évoque, au point d’illustrer sa scène d’ouverture par un extrait de La Passion en question version Eugen Jochum, Xavier Beauvois n’a peur de rien, pas même d’une utilisation musicale si galvaudée. Il craint encore moins son sujet éventé -pourtant développé en compagnie de Catherine Breillat : la lutte de classes via le filtre d’une relation amoureuse, le prolétariat sanguin opposé à la bourgeoisie bourgeoise (joli salon, jolies voitures, chasse, clubs privés, casino, etc.). La longue exposition lorgne de façon anémique du côté de Ressources humaines avant que le film ne change de cap et se réoriente vers une variante urbaine de L’Amant de Lady Chatterley agrémentée de divers ridicules, dont une scène onirique consternante d’imbécillité et un exposé sur la mondialisation parfaitement stupide. Les comédiens donnent ce qu’ils peuvent : Nathalie Baye se confine dans un registre dont elle connaît les nuances et qu’elle maîtrise un peu trop ; quant à Benoît Magimel, il apporte à son personnage une fougue et une anxiété bienvenues mais que la direction d’acteurs semble s’acharner à museler. Il est simplement bien alors qu’il pourrait atteindre à la perfection si n’était endiguée la violente énergie dont il sait faire preuve. Reste que le couple se sort dignement de l’embarrassante situation dans laquelle il se trouve.

Xavier Beauvois déclare qu’il a « voulu montrer des ouvriers qui ne parlent pas n’importe comment, qui ne s’habillent pas mal, qui peuvent regarder un match de foot et un vieux polar en version originale sous-titrée ». Qu’il se rassure, la tenue linguistique et les choix vestimentaires de ses prolétaires sont irréprochables et ils pourraient remplacer au pied levé Thierry Roland ou Patrick Brion. On a nettement moins envie, en revanche, de les voir récupérés comme ils le sont par le réalisateur et mis au service d’un récit déplaisant et étriqué. Film sans générosité, affecté, terne, figé dans sa morgue, Selon Matthieu confirme les ambitions de son auteur aussi bien que son incapacité à les atteindre au niveau dramatique. Un cauchemar.