Question délicate : comment va Woody Allen ? Usé jusqu’à la corde voire gâteux, son cinéma post 90’s n’en reste pas moins schizophrène. A l’intérieur même d’un métrage, peut cohabiter l’académisme le plus insupportable et une dégénérescence touchante, poisseuse. Pas étonnant que Match point, film figé dans la naphtaline jusqu’à l’envoûtement, ait fait l’objet de tant de louanges, puisque Woody réussissait là son film le plus malade, le plus monstrueux aussi. De ce retour en grâce, associé à l’émergence de Scarlett Johansson en nouvelle muse officielle, résulte Scoop, comédie pleine, sautillante, patchwork plus que synthèse des vagues successives de l’œuvre de petit binoclard. Une sorte de Kill Bill allenien où le cinéaste se plait à survoler gaiement un maelström d’influences, à les ressusciter telles quelles ou les moderniser à sa guise.

L’histoire est celle d’une étudiante en journalisme (une Scarlett Johansson en jupette et lunettes) enquêtant sur un golden boy de la haute société londonienne (Hugh Jackman). Lequel serait un célèbre serial killer, si l’on en croit le fantôme d’un grand journaliste d’investigation qui se confie à la jeune femme lors d’un numéro de magie. Histoire de réminiscences donc, où parfois l’on s’applique à revenir en arrière, parfois non : les meurtres de Jack L’Eventreur dans un Londres contemporain, la structure d’Alice et Meurtres mystérieux à Manhattan, ou encore ce plongeon du journaliste moribond remontant le courant du Styx. Et puis le personnage Woody Allen, moins fil conducteur que compagnon de voyage, mi boulet, mi double flouté de Scarlett Johansson comme il pouvait l’être avec Jason Biggs dans Anything else. Son entrée en scène en magicien de cirque de seconde zone dit bien la lucidité de Woody cinéaste vis-à-vis de l’acteur Allen : un corps flapi de grand-père, entre ringardise et truculence.

On en revient encore à Anything else, pierre angulaire de cette nouvelle ère hybride où la mue et la désintégration d’un personnage culte se donnent la main. D’un coté, le film voudrait toucher à la perfection (Johansson ou Biggs, dont Allen capte goulûment la jeunesse) se libérer de l’emprise d’un corps-débris, d’une pensée honteuse, salissante (le racisme du personnage d’Anything else, sa mise en l’écart à la fin de Scoop). De l’autre, cette imperfection (un personnage pour deux corps) étoffe paradoxalement les enjeux du film : dramatiquement, Allen se greffe et s’incruste, il tord l’intrigue, la dénoue comme un petit monteur fou. Son narcissisme habituel s’en trouve sublimé : le personnage est partout et nulle part, dispersant ses enveloppes corporelles aux quatre coins du plan. C’en est presque magique. Vu la richesse d’un tel dispositif, impossible d’imaginer qu’il s’épuise un jour, tant Woody Allen semble avoir trouvé la solution miracle à son problème récurrent de représentation. Il peut sans mal retourner à New York.