Cinéaste discret, Philippe Faucon a construit au fil des ans une œuvre sensible et marginale, travaillant essentiellement pour la télévision sans pour autant renoncer à ses convictions d’homme et d’artiste. De L’Amour à Muriel fait le désespoir de ses parents, Faucon s’est majoritairement intéressé au monde adolescent, à ses joies simples comme à ses douleurs profondes (l’implacable Sabine, récit déchirant d’une jeune fille en fugue). Samia sera donc un nouveau portrait pubère, centré cette fois sur une maghrébine de 15 ans, dont l’émancipation est remise en cause par l’autorité d’un frère violent et despotique. La force du film tient en grande partie à la description de ce rapport complexe entre Yacine, l’aîné de la famille, vrai-faux substitut paternel (le patriarche est toujours malade ou en retrait, pas vraiment au cœur des événements), et l’ensemble des sœurs, formant à elles toutes une sorte de pôle de résistance. Cloîtrées dans leur appartement marseillais, les adolescentes rêvent d’un contact avec l’extérieur, d’une existence « à l’européenne » que l’oppression du frère rend impossible. Aux attaques machistes et répétées de celui-ci répondent les quelques bouffées de liberté que s’octroient les jeunes filles, petites évasions en ville ou sur la plage qu’elles paieront de toutes façons très cher. Figure ambiguë, la mère renforce le conflit tout en calmant le jeu, prête à rapporter le moindre faux pas de ses filles (voir la séquence chez le gynécologue censé vérifier la virginité de Samia et sa sœur) avant de demander à Yacine de baisser la garde. Si elle propage d’une part le malaise culturel via le refus formel de se conformer aux mœurs françaises ou la croyance en une logique de la soumission féminine, la mère semble également consciente de l’impasse dans laquelle sa famille se trouve.

Plus soucieuse de ses personnages que d’une quelconque recherche formelle, la mise en scène de Faucon est d’une exemplaire modestie, sans que cela soit jamais synonyme de transparence. Si le cinéaste prend évidemment parti pour les filles, le dernier plan du visage de Yacine confère à ce dernier une nouvelle dimension. Une expression de tristesse et de douceur qui déleste soudain le jeune homme de son unique et pesant statut de bourreau. Car le regard de Faucon est ainsi : loin d’un manichéisme réducteur, attentif au moindre geste susceptible d’enrichir ses créatures, d’en rendre une image humaine et juste. C’est ce qui fait tout le prix de son cinéma.