Il y a deux personnages potentiellement fabuleux dans ce premier film uruguayen, adapté d’une nouvelle de Juan Carlos Onetti, et présenté sous le label de la petite-pépite-venue-d’ailleurs : Jacob, un ex-champion de lutte lymphatique (Jouko Ahola, aperçu dans Kingdom of heaven de Ridley Scott) et son manager roublard, « Principe » Orsini, interprété par le très bon Gary Piquer, en catogan-bouc-costard de faux héritier. Leur arrivée dans la modeste ville de Santa Maria, au gré d’une improbable tournée, va déclencher un petit mélodrame tragi-comique. Idéalement, Sale temps pour les pêcheurs aurait pu être un Wrestler latino (si le cinéaste avait porté un peu plus d’attention à l’attachant personnage du lutteur) voire un astucieux remake du Tandem de Patrice Lecomte, auquel d’ailleurs il emprunte, incidemment, une ou deux séquences. Malheureusement, derrière la caméra, Alvaro Brechner semble plutôt s’imaginer en frère Coen au petit pied. Pleine de bonne volonté, la mise en scène flirte presque constamment avec la platitude, emballée de cadres sommairement appliqués, sans grâce, se succédant au rythme d’un montage à la fois trop pressé et aphasique.

Plutôt que de risquer de suivre ses personnages et son récit dans leur grandeur cassée, quitte à s’abîmer un peu lui-même, Brechner se protège derrière un petit savoir-faire impersonnel qui annihile, hélas, une bonne partie de l’intérêt qu’on était prêts à trouver à son odyssée de branquignols. S’en tenant à cette forme sans souffle, il maintient le récit à distance de ses plus intenses pôles d’attraction : d’un côté l’hystérie flambeuse, de l’autre le vague à l’âme. Le décor et les petits drames qui s’y nouent avaient tout pour inviter à une exubérance à la Rodrigo Fresan (le monde des lutteurs, quelques accessoires pop seventies), ou bien à une errance mélancolique proche d’un Roberto Bolaño (la tristesse de la conclusion dissoute, surtout). D’ailleurs, la nouvelle de Juan Carlos Onetti (Jacob et l’autre) prenait place dans une ville imaginée par un personnage fictif : il aurait sans doute fallu tirer partie de cette géographie imaginaire, purement littéraire, quand ici l’absence de regard réduit le contexte à une sorte de pittoresque haut en couleurs, comme on dit.

Quelques réussites émaillent tout de même l’ensemble : ici un gag (l’athlète essoufflé à côté de la voiture d’Orsini vantant sa force), là un joli dialogue entre Orsini et une charmante autochtone au balcon d’une salle de spectacle, avec sauteur à la corde en arrière plan, peut-être le plus beau moment du film. Moments rares où enfin une vraie tonalité affleure, de petits éclats qui, s’ils ne suffisent pas à rattraper la faiblesse générale, incitent au moins à une indulgence polie.