Pas sûr que Jean Jacques Annaud, baroudeur un peu fatigué depuis ses infructueuses années 90, se relance avec ce bidule mythologique, ultime concept du scénariste Gérard Brach, décédé depuis. José Garcia est Minor, un homme-cochon paisiblement rabroué par la populace. Illustration : siestes à flanc de porc, grognements de cours de récré, festin en plein caca, claque sur les fesses, sentence primitive de ses concitoyens après une escalade interdite sur l’arbre sacré du village (« A mort ! »). Donné pour mort, mais ressuscité en homme doué d’éloquence, Minor prend le pouvoir. Il y apprend que sexe et politique font bon ménage, rend visite au Dieu Pan et provoque la colère de son peuple. Illustration : festivités mégalos, orgies soft, vindictes, fuite à la Louis XVI, colère actor-studioisée de Cassel.

De quoi tenter une expérience dégénérée mais originale (cinéma = dépaysement, leitmotiv d’Annaud), dans le registre d’accidents industriels que le cinéma français affectionne de temps en temps (Blueberry). Seulement voilà, Annaud n’a rien à dire sinon des banalités sur le pouvoir, et sa mise en scène dégage un érotisme à peine plus troublant qu’un vaudeville. Ses acteurs sont surtout effroyables, comme piégés par le décorum, hésitant entre stoïcisme mou (le côté illustratif du film, un peu catalogue de la Redoute) et cabotinage hurleur, avec en tête un José Garcia complètement paumé, qui déçoit comme rarement. Les limites du cinéma français envahissent l’écran de toute part. A des années lumières du traditionnel réalisme tricolore, le film trouve quand même le moyen de revenir à une grammaire franchouillarde pas si éloignée de celle d’Astérix, quelque part entre fantasme de gauloiserie internationale (ping pong effroyable entre trivialité sitcomesque et poses insipides – l’éphèbe, la nymphe) et renoncement à toute minéralité (le côté tableau animé comme un vieux manège).

Le plus triste consiste à déterrer, sous la couche de rimmel, le film rêvé par Brach, soit une odyssée fiévreuse qui par sa structure rappelle les trips cauchemardesques de Polanski – surtout le méconnu et fabuleux Quoi ?. Sauf qu’Annaud n’a rien d’un cinéaste trouble, tout au mieux n’est-il qu’un correct chef décorateur – et encore, le film n’est pas si beau que ça. Mais de regard, d’appropriation sur ce qui est filmé, que nenni. Annaud est son propre Minor, un spectateur hébété par le pouvoir qui lui tombe dessus. Encore un mal français dont sont souvent victime Gans et autres Kounen : la fierté de sortir des sentiers battus dépasse toute quête de sens, toute construction, comme si un film trouvait son aboutissement dans la simple envie de le faire. Si Minor sent fichtrement la fin de règne pour Annaud, elle n’offre de perspective qu’un grand n’importe quoi plein de vide et d’idéaux mal dessinés.