Enoch, orphelin propret et aussi space que son prénom, s’amourache d’Annabel, jeune cancéreuse en phase terminale. Lui habite un monde fantasmatique et doux-amer, où le fantôme d’un kamikaze japonais l’accompagne dans son deuil et ses 400 coups. Elle, fragile mais facétieuse, dessine des oiseaux dans les jardins publics et aborde la fin des haricots avec un épicurisme à toute épreuve. Le couple s’unit autour d’une même fascination cathartique pour la mort, qui les plonge dans une existence singulière, gouvernée en vérité par un formidable élan vital.

Après un biopic façon Oliver Stone queer (Harvey Milk), Gus Van Sant retourne donc à un dada plus familier, celui des jeunesses à la fois hantées et primesautières contées avec une frivolité doucereuse, jamais très loin d’une mièvrerie revendiquée. Pas de bousculades formelles cette fois, on est davantage dans la tendance Will Hunting que dans le laboratoire arty de la trilogie Gerry. On sait même tout de suite où l’on met les pieds avec Restless, puisqu’en un quart d’heure, on a identifié ce qui passionne GVS dans cette histoire : non seulement célébrer la légèreté avec laquelle nos petits minets abordent la fatalité, mais faire de cette légèreté un principe de mise en scène – ou plutôt de « filmage », devrait-on écrire, puisque justement la mise en scène fait défaut. Tout repose sur les jeux oniriques du couple, que Van Sant abandonne sur un banc ou une tombe, avec un fond sonore cristallin pour seule compagnie (au choix, guitare timorée ou xylophone bienveillant). Tout juste y a-t-il là-dedans un principe narratif, exploité auparavant par GVS avec plus de brio, consistant à contempler le tragique à travers un étrange filtre adoucissant, utilisé avec une pudeur câline, comme pour communiquer les turpitudes baudelairiennes à tous les enfants de 7 à 77 ans.

De cette décontraction peut ressortir un humour qui fait parfois mouche – notamment dans les pieds-de-nez adressés à la mort, qu’Enoch et Annabel théâtralisent et attifent de mille parures multicolores (conjurer le destin mortuaire par le rire et le jeu : c’est décidément dans l’air du temps). Polarisée autour du spectre nippon, la schizophrénie gentillette d’Enoch a également un certain piquant, et leur complicité imaginative à la Calvin et Hobbes donne lieu à quelques trouvailles. Mais le lissage pastel aboutit aussi à la platitude, au sentiment qu’à force de flirter avec l’aseptisation, Restless s’est pris à son propre piège.

Il est clair qu’avec un tel parti-pris, Gus Van Sant contourne la pesanteur mélancolique dans laquelle aurait pu se vautrer le script. Mais au-delà de cette échappée, que propose le film ? Moins le récit d’un drame humain (les personnages annexes sont d’ailleurs inconsistants, à commencer par la famille d’Annabel) qu’une ode gratuite à l’imaginaire adolescent, une flânerie agréablement sirupeuse dans le quotidien condamné de ces jeunes gens, qui officient d’abord comme modèles vivants – Van Sant insiste trop sur la blondeur malade de la moribonde, qui n’est pas sans rappeler celle de Thom Yorke époque Pablo Honey, autant que sur la morphologie boyscout du fils Hopper. Reste en somme l’humeur doucette et débonnaire des guitares folks et du xylophone – instrument qu’Enoch finit d’ailleurs par offrir à sa dulcinée sur son lit d’hôpital, comme pour avouer que leur jolie romance, si poignante soit-elle, est surtout une affaire de fond sonore.