Princesses, c’est un peu l’autre Baise-moi. Un Baise-moi installé, propre, emprunté, sans nécessité. Tout l’inverse du film à l’arraché de Coralie / Despentes. Ici aussi, deux filles aux caractères complémentaires et pas très mainstream prennent la route. Ici aussi, une musique rock accompagne leur rage ; et si leur projet n’est pas de dévaster la mâle connerie au cours de leur voyage, il est quand même de retrouver le Père. On reste dans la famille.

Seulement, les princesses de Verheyde sont des filles sages qui jouent aux voyous. La quête laborieuse d’une insolence, la recherche constante d’une forme un peu sale et décalée -inévitable caméra à l’épaule, mise au point savamment défectueuse, visages crispés filmés de près, montage vif qui renforce le nerveux du geste suivi-, tout accuse un professionnalisme qui mesure ses effets, saisit l’excès avec modération et les temps morts avec excès. Le casting même renforce cette impression d’un film s’encanaillant avec peine, d’un travail appliqué et sans risques, jouant la carte de la différence quand tout le ramène au déjà-vu en boucle. En effet, la répartition des rôles et des affects entre les trois personnages principaux du film est tellement figée qu’elle contraint les interprètes à ne jouer que sur un registre le plus souvent restreint, répétant les mêmes figures et tics de jeu : la témérité face à l’adversité et la crise de nerfs à froid chez Sophie-Emma de Caunes, les colères logorrhéiques et le recours systématique à la violence chez Virginie-Karole Rocher ; le charme du sarcasme ambigu et le déplacement oiseau chez Simon-Jean-Hugues Anglade, guest star du film dans une composition à l’américaine, un peu too much, mais qui procure parfois du plaisir, denrée rare.

Enfin, la solution narrative adoptée par Sylvie Verheyde pour contourner le reproche lancinant du « film de chambre intellichiant » renforce encore le sentiment selon lequel Princesses manque son but à vouloir trop se démarquer dans une originalité factice. Cette solution, c’est une variante subtile du road movie qu’on appellera, faute de mieux, la virée. La virée se distingue du road movie au sens où le voyage sert moins ici à rencontrer des gens et à voir du paysage qu’à former la jeunesse, selon un dispositif élaboré dès la page un et qui trouve une résolution en page cent dix, à l’endroit du mot fin. On dira plus simplement que la virée est un artifice scénaristique qui permet de raconter en voiture, en bateau ou en train ce qu’on n’a pas su raconter et filmer dans un appartement, les volets fermés. C’est d’autant plus gênant dans le cas de Princesses que le propos du film est tout entier dans les tensions psychologiques entre les personnages et que la réalisatrice montre à plusieurs reprises son intention d’aller mettre le couteau dans la plaie, d’en découdre avec le désespoir qui ronge ses héroïnes et leur donne ce visage tendu. Pour la confrontation violente entre le père agonisant et Virginie en larmes à la fin du film, combien de fausses pistes, de fuites, de contacts évités au bénéfice de situations gratuites et fausses comme cet interminable voyage en train, exercice de style où l’on se frotte, l’on se murmure aux oreilles, l’on s’évite enfin pour rien ? La tentation formelle, la stylisation de tout et de n’importe quoi nuisent à Princesses et à ce qu’il veut nous dire. Il faut revoir les films de Jacques Doillon, qui eux vont à l’essentiel.