Après avoir été rédacteur aux Cahiers du cinéma, qu’il a quitté en 1984 pour réaliser Laisse béton avec Jean-Pierre Kalfon, Serge Le Péron revient au cinéma seize ans après. Seize années pendant lesquelles il s’est notamment consacré à la réalisation, pour la télévision, de deux documentaires sur de célèbres affaires criminelles (Bruay : histoire d’un crime impuni en 1998 et L’Affaire Spaggiari en 1997). Ce sont sans doute ces incursions dans l’univers de la criminalité et de la justice qui ont donné envie au réalisateur de mettre en route L’Affaire Marcorelle : l’histoire d’un juge tiraillé par un étrange sentiment de culpabilité.

Serge Le Péron imagine ainsi un héros, le juge François Marcorelle (J-P Léaud), torturé par un conflit moral qui prend source dans la citation de F. Dostoïevski : « Nous sommes tous coupables…Et moi plus que les autres. » Partant des délires de son personnage, le cinéaste élabore un film qui emprunte à plusieurs genres : le polar, la comédie, le fantastique, la satire sociale et politique.
Au terme d’une soirée passée seul, François Marcorelle accepte l’invitation d’une jeune Polonaise (I. Jacob) et monte chez elle prendre un dernier verre. Après une bagarre avec le père de la fille, il commet l’irréparable. Réalité ou fiction ? L’Affaire Marcorelle s’applique à semer le doute dans nos consciences en enchaînant des scènes qui mêlent enquête réaliste (les moeurs au sein du barreau de Chambéry) et digressions psychologiques sur les angoisses du protagoniste. Sous-tendu par une narration originale, le film passe sans complexe d’un univers à l’autre, et détonne par rapport à un certain consensus français qui voudrait qu’on ne mélangeât pas les codes propres à chaque catégorie d’œuvres. Cette excellente initiative ne parvient cependant pas à combler les nombreuses faiblesses de L’Affaire Marcorelle.

Confiée à un cinéaste talentueux, l’histoire de François Marcorelle aurait pu donner lieu à un insolite thriller psychologique, mais sous la direction de Serge Le Péron, celle-ci peine à nous convaincre. Deux raisons à cet échec : la maladresse de la réalisation, qui accumule les plans insignifiants, dignes d’un feuilleton télévisé, et l’absence de direction d’acteurs. Face à Jean-Pierre Léaud, vieux routier du cinéma rodé à toutes les méthodes, Irène Jacob (avec sa pénible diction mâtinée d’accent polonais) et Mathieu Amalric sont aussi transparents que des jeunes premiers débutant dans un soap français. Alors que Aïe de Sophie Fillières (autre œuvre aux pistes multiples) était littéralement porté par la grâce de ses interprètes, l’indifférence de L’Affaire Marcorelle pour ceux-ci lui enlève toute chance de salut.