Il y a deux films dans Presque frères, ce qui n’est jamais très bon signe : le premier est une reconstitution historique assez pauvre des années 1970, en pleine dictature militaire, à travers la vie en prison de prisonniers politiques mêlés aux prisonniers de droit commun, au large d’une île recluse à l’Ouest de Rio de Janeiro. Le second est contemporain et reprend à son compte des bribes de récit dont La Cité de Dieu faisait son ensemble, ce qui n’est pas étonnant si l’on sait que Paulo Lins, le scénariste du film, est aussi l’auteur du roman La Cité de Dieu : une jeune fille des beaux quartiers, fille de l’un des ex-prisonniers politiques cités plus haut, s’amourache d’un dealer des favelas, plongeant dans un enfer de violence, monde impitoyable où la vie ne vaut pas plus de quelques dollars.

La seconde histoire, qui s’enroule autour de la première, est bien meilleure que la première, retrouvant souvent la puissance esthétique de La Cité de Dieu par ses fulgurances visuelles, sa violence sèche et convulsive malgré le recours à de purs effets de style. On ne dira jamais assez combien cette stylisation de la violence des favelas, quand elle n’est pas désorbitée par l’étroitesse d’esprit d’un Tony Scott (qui reprit ces bases sud-américaines pour Man of fire ou Domino) n’a rien d’obscène et de publicitaire mais comble au contraire le sacro-saint gouffre séparant le réalisme moral -le règlement de comptes comme forme codifiée et sophistiquée- et sa conversion plastique : un manège odieusement musical de misère et de mort. Sur ce plan, Deux frères confirme une école esthétique brésilienne néo-baroque et l’accomplit en quelques séquences dont la brièveté renforce la puissance.

L’autre film, colonne vertébrale du second, est hélas beaucoup plus académique, jouant avec l’espace ambigu de la prison comme lieu où fusionnent droit (la revendication permanente des prisonniers politiques, qui reconstituent un semblant de démocratie dans l’enceinte de la prison) et de non-droit (la sauvagerie qui naît de la dispute continuelle avec les prisonniers de droit commun). L’aspect flash-back de cette reconstitution, illustration d’une discussion entre deux prisonniers amis d’enfance se retrouvant des années plus tard, ne fait que décrépir et assécher le film en décorum historique : fils trop évidents du scénario, leçon de vie vue mille fois ailleurs (le prisonnier politique blanc devenu grand bourgeois, l’autre, noir et issu des favelas, resté à la tête d’un empire criminel), banale mise en scène de trajectoires intimes muées en lourde métaphore sociale. Dommage, car l’évidente force des passages contemporains s’en trouve amortie et comme anesthésiée : ne reste, alors, que la frustration d’avoir assisté à une moitié de film.