La machine hollywoodienne est une arme à double tranchant. D’un côté certains cinéastes ne sont jamais aussi passionnants que lorsqu’ils s’approprient les codes hollywoodiens et les régurgitent à leur façon. Ainsi de Guillermo Del Toro dont Mimic, Blade 2 ou les Hellboy, plus ou moins des films de commande (si tant est que cette notion ait un sens à Hollywood), sont relativement plus intéressants que ses oeuvres dites « personnelles » (L’Echine du diable, Le Labyrinthe de Pan), souvent empesées dans les lourdeurs du film à thèse, en dépit de leur beauté plastique. A l’autre bout du spectre, Alex Proyas semble faire le chemin inverse, la machinerie des grands studios broyant absolument toute singularité. On se souvient du très beau Dark city, oeuvre démiurgique (sur un personnage lui-même démiurge), sorte de Matrix moins expérimental et moderniste que le film des Wachowski, plutôt porté par une imagerie à la fois gothique et expressionniste au sein d’un écrin formel classique, une manière d’étrange parfois un peu guindée mais aussi profondément habitée.

De tout cela, Prédictions (et avant lui I, robot) ne garde presque plus aucune trace. L’entame pourtant, laisse espérer un beau film funèbre. Une capsule enterrée cinquante ans plus tôt est sortie de terre. A l’intérieur, des dizaines de dessins d’enfants à qui on a demandé d’imaginer le futur. Sur l’une de ces feuilles, une fillette a dessiné une série de chiffres qui se révèleront être les dates et coordonnées de catastrophes ayant eu lieu par le passé, la dernière date annoncant ni plus ni moins l’Apocalypse. Mais la piste la plus intéressante, c’est évidemment celle d’un homme, père, scientifique (Nicolas Cage, toujours emprunt d’une sorte de fatigue métaphysique)), qui ne pouvant faire le deuil de sa femme, morte dans un incendie (l’une des catastrophes prévue par la fillette), se doit d’assister aux cataclysmes à venir, comme une sorte de reproduction morbide et à échelle de l’humanité de celle qu’il n’a pu prévenir. Ce schéma classique du drame intime qui rejoint la Grande Histoire, s’il n’est pas nouveau, porte en germe, ici-même, quelque chose d’assez intriguant. C’est disons la dimension inconsciente du propos : un homme ne pouvant faire son deuil intime imagine plus grande catastrophe encore, l’apocalypse elle-même comme pour anéantir sa douleur.

Cette hypothèse qui sommeille dans le double fond de l’histoire, il semble que Proyas n’en ait même pas conscience (aucune image qui viendrait contredire ou relativiser la stupidité du scénario dans la seconde moitié du film). C’est d’autant plus étonnant qu’il y a là quelque chose de pas très éloigné du personnage démiurge de Dark city. On sait bien, au fond, que dans les films catastrophe ce qui est beau, c’est l’intime plus que le spectaculaire. Au contraire, plus le film avance, plus il quitte le silence des souffrances intimes et l’étrangeté qui le portait jusque là, pour un spectaculaire bruyant et hystérique (sans compter les effets spéciaux plutôt d’arrière garde), un idéal religieux pour « béni-oui-oui », caricatural et imbécile. Bref, Alex Proyas fait son boulot, mais en étant complètement désinvesti, se laissant submerger par la bêtise généralisée de l’ensemble.