Comment est-on passé de Poulet aux prunes, belle bande dessinée, à Poulet aux prunes, chromo lourdingue, tableau atrocement décoratif ? La question se pose d’autant plus que Persepolis, précédente adaptation, par Satrapi elle-même, de son oeuvre, avait tout d’une franche réussite.

Poulet aux prunes, la bande dessinée, à laquelle le film emprunte la structure narrative, traitait avec légèreté et humour un sujet grave : les derniers jours d’un grand artiste, un musicien, gagné par une terrible lassitude, qui décide de se laisser mourir. Chapitré en plusieurs jours, le récit raconte en images son agonie, comment le passé lui revient, son enfance, sa jeunesse, son mariage, la naissance de sa vocation musicale et aussi le secret de sa vie : un amour enfui. A la fin, Azraël, l’ange de la Mort, tout de noir vêtu mais à la verve toute satrapienne, vient même visiter le mourant, scène fantastique et drôle qui résume bien l’esprit du livre : l’évocation subtile et mélancolique d’un homme, grand-oncle de la dessinatrice, à qui elle rendait hommage. Comment expliquer que le film échoue à retrouver cette grâce et rate son passage au grand écran ? Principalement, parce qu’il ne réfléchit pas aux correspondances entre le récit graphique et la représentation cinématographique : au cinéma, les corps ne sont pas des silhouettes, ils sont même tout le contraire. Il y a une définition du cinéma qui dit que c’est « la mort au travail ». Autant dire que Poulet aux prunes se prêtait à une adaptation ciné.

Or, du fait de leurs origines esthétiques, les choix des deux réalisateurs – Vincent Paronnaud co-réalise le film – sont d’emblée graphiques : Mathieu Amalric (bon choix pour le personnage principal) grimé, maquillé est marqué par des artifices qui l’empêchent d’emblée d’incarner, de « donner corps » à son personnage et à son destin. Certes, cette artificialisation du réel fait l’univers du film et est à la base du projet. Sauf que l’émotion légère ressentie devant l’alignement de quatre cases de BD pour raconter les divers moyens de se tuer imaginés par le héros ne peut être provoquée par le transbordement paresseux de ces cases dans l’enchaînement de quatre plans de cinéma. On ne rit pas au gag et on ne rit presque jamais au film. Peu à peu, l’adaptation fidèle à la BD se retourne en son contraire : le beau roman graphique devient sur l’écran un laborieux livre d’images kitsch, une suite de saynètes poussives et peu inspirées. Sacré gâchis.