A l’alternative, point de raison d’être : nul doute qu’il faut peindre et faire l’amour et peindre l’amour et faire le peintre et l’amour. Réponse certaine malgré ce que semble raconter le nouveau long métrage des Frères Larrieu (après Fin d’été, La Brèche de Roland et Un Homme, un vrai) : un couple de bourgeois en pré-retraite (Azéma-Auteuil) s’installe dans une belle maison de campagne ; venu du champ-voisin, séparé par un bois obscur, surgit un autre couple (Casar-Lopez) ; il est aveugle, elle voit pour deux, ils s’appellent Adam et Eva. Plaisir inattendu d’être ensemble, des dîners d’été sur la terrasse, trouble naissant, insistant doucement. Et voilà, les couples s’intervertissent, tous s’échangent. Facile de voir là ce qui agite tout le petit cinéma français, pas forcément le meilleur : éternel scénario des bourgeois qui s’encanaillent, découvrant d’un coup ce qui demeurait silencieux sous leur nez, un peu perdu dans l’écume du désir déferlant soudain, (r)éveil à l’amour nouveau. Stop. Cette histoire est filmée par les Larrieu, c’est-à-dire des cinéastes parmi les plus doués du cinéma français, qu’on admire au moins d’avoir su garder fraîcheur au package vieux chic qu’ils ont volontairement choisi (acteurs à filmo-mammouth, maison de riches, sujet usé).

Et d’être peintre. Film de peintre, rien de pire que pareil compliment. N’empêche, le cinéma des Larrieu est un cinéma d’avant la peinture, d’avant l’huile couchée sur le tableau, du moment où l’on respire ce qu’on va peindre. Ils aiment la lumière qui épaissit les êtres et les choses (on la doit à l’excellent Christophe Beaucarne), et le vent qui fait valser le chevalet. Chez eux toujours le paysage affecte les personnages, il n’y a pas vraiment de décors dans leurs films. Et leur logique des sensations est infiniment partageuse : pas moyen de croire à cette histoire si l’on ne ressent pas un peu du trouble des personnages, mais surtout si l’on ne baigne pas depuis longtemps, et en tout confort soyeux, dans le climat sensuel scintillant dans le moindre chant d’oiseau, arbre, vieille poutre. C’est aussi un beau film sur la maison, d’abord vue sur le mode ironique de la « maison de rêve », ensuite comme lieu où réinventer l’amour. Sortie idéale de l’embourgeoisement, au fond, puisqu’ici l’écart, l’anormal n’est pas commenté, on ne s’en félicite pas, on le goûte, on n’en fait pas tout un plat -donc on ne casse pas la moindre assiette, puisqu’il n’y a pas trace de rancoeur. Peindre ou faire l’amour chante l’émerveillement matinal, le bucolisme quand il brûle les yeux, le climat lorsqu’il est scandaleusement enchanteur, tandis que reviennent les Marquises de Brel, invitation à une mort écrasée de ciel bleu, de mer qui vous tourmente au bord des arbres calmes et généreux.