Il y a quelque chose d’un peu agaçant à lire que Paranormal Activity réussirait là où des blockbusters gorgés d’effets numériques échoueraient, sous prétexte qu’il serait un film au budget minimal, et, par conséquent, saurait gérer le travail de la peur là où peu de grosses machines y parviennent. La peur vient de la capacité d’un cinéaste à manipuler les émotions des spectateurs par les seules vertus de sa mise en scène, et on ne voit pas pourquoi un film « riche » serait moins pertinent qu’un film « pauvre », comme en témoigne l’effroi glaçant que procurent certaines séquences du dernier film de Robert Zemeckis, Le Drôle de noël de Scrooge. Qu’en est-il donc de la peur dans ce Paranormal Activity qui décrit le quotidien d’un jeune couple hanté par une entité malfaisante souhaitant prendre peu à peu possession de la jeune femme ?

La réussite relative du film tient moins au cheminement de la peur (contrairement à Jacques Tourneur qui croyait aux fantômes ou à John Carpenter qui a déclaré un jour avoir vraiment rencontré le Diable, on ne voit pas très bien ce qui travaille Oren Peli, quand bien même le dossier de presse nous indique qu’il y a un zeste d’autobiographie là dedans), qu’à quelques intuitions puissantes qui font du film une vraie curiosité. Au fond, il y a deux films ici : l’un qui décrit une relation de couple (le home movie, journal filmé par le garçon avec tous les tics conventionnels et ostentatoires du genre – cadres improbables, tressautement nauséeux des mouvements de caméra, agacements hystériques de celle qui est filmée), l’autre qui s’attache à la part d’inconscient nocturne (la caméra posée sur trépied, dans la chambre, pendant que le couple dort), qui n’est plus vraiment arrimé au principe de réalité documentaire mais au contraire joue sur de stricts effets d’artifice (dont le plus inquiétant est l’accélération soudaine du time code pour nous amener à une heure précise de la nuit, comme si la caméra était dotée de vie).

On aura vite compris que le film est l’histoire d’une fille qui se révolte sans le savoir contre son petit ami lequel sous ses airs cool et sympa s’avère vite n’être qu’un petit tyran domestique cherchant à affirmer sa virilité en faisant peu cas des opinions de sa copine. La partie diurne est sans doute la plus faible, tant la soumission de la jeune femme et l’autoritarisme du jeune homme reposent sur le bon vouloir d’un scénario que nous sommes sommés d’accepter, non sur l’observation implacables des rapports dissymétriques qui existent au sein d’un couple (là dessus, le film est même très grossier, ne laissant qu’une marge de manœuvre limitée à ses comédiens). Que le jeune homme n’ait, par exemple, jamais vraiment peur n’est qu’un des symptômes du forcing que fait le scénario (difficile du coup de croire à ce personnage tant son attitude semble téléguidée par une logique qui ne lui appartient pas).

En revanche, les séquences où la caméra se défait du pseudo regard du jeune homme ont quelque chose de vraiment terrorisant. Sans doute parce que le réalisateur y fait moins le malin que dans les scènes de home movie et que d’un coup, au delà des événements étranges qui s’y déroulent, la caméra semble prendre une autonomie sur ses personnages : immobile, pourvue de glaçantes images bleutées, elle anticipe le récit en prenant en quelque sorte possession des corps rendus à leur vulnérabilité de dormeurs. La dimension de voyeur qui est le notre à ce moment là est sans doute pour beaucoup dans cette infiltration de la peur, car alors il semble qu’il n’y a plus d’écran entre nous et cette chambre maudite. Le malaise vient de cette fixité soudaine de la caméra qui n’a cessée auparavant d’avoir la bougeotte, de cette rupture de contrat avec ce qu’on pourrait assimiler à du « cinéma direct » (le versant diurne) pour une pure logique voyeuriste avec la violence du regard que cela suppose (versant nocturne). Dans ces moments là, nous sommes en effet tels des voyeurs qui surprendraient un événement inattendu qu’ils n’étaient pas censés voir, beaucoup plus inquiétant que la petite scène intime à laquelle tout voyeur, dans le confort de la distance scopique, rêve d’assister. Le plan final s’adresse d’ailleurs explicitement à nous, et s’il fleure un peu trop le grand guignol, qu’il dépasse sa fonction d’effet de surprise et d’effroi laisse espérer que le réalisateur, Oren Peli, est autre chose qu’un simple petit malin.