Avant de pousser les portes de ce paradis 100% pur porc, un détour par la télé. Avec des émissions comme Les Sept pêchés capitaux, aujourd’hui remplacées par les multiples formats courts du câble (Tellement vrai), Julien Courbet s’était fait le maître d’une redoutable dramaturgie. Exaltant, le crescendo ne variait jamais : devant les banalités sur la misère grassouillette de l’Occident chrétien diffusées en début de programme, le spectateur tortillait des orteils en attendant le chapitre « Luxure », finale sea, sex and sun généralement tourné à Ibiza.

 

Côté grand écran, Seidl est le digne héritier de cette dramaturgie. A ce détail près que chez lui, glissement subtil, le Sea sex and sun de TF1 devient Obèses, thune et tapin. Malgré une légère redistribution des cartes (ce sont bien de grosses bourgeoises autrichiennes qui viennent chercher l’amour tarifé en village-vacances, et non des prolétaires mâles), tout est là, dans l’ordre prôné par Courbet – d’abord la grisaille blanche, ensuite la décadence sous les cocotiers. La tonalité évolue aussi, gagne en pompe : le film commence lové dans un comique trash pas loin de Solondz, presque bon enfant, quelques corps baroques traversent le cadre – une gosse moche en t-shirt Minnie, deux-trois trisomiques, un boy béat. Second acte, dans un genre de Club Med : notre héroïne cède à un gigolo kenyan. Défense de rire. Elle le paie, elle y croit, il la berne, ne bande pas, elle s’énerve, l’humilie, attention : c’est de l’exploitation, ma petite dame.

 

Où exactement veut en venir Seidl quand, planqué au pied du lit, il fait durer les ébats (pénibles remous de cellulite abouchée aux corps galbés des éphèbes noirs) en plans-séquences interminables ? A quelque chose comme une formule mathématique : exploitation = capitalisme = misère affective = grosses dames esseulées = prostitution = exploitation – la boucle est bouclée. Son tour de passe-passe d’auteur ? Epouser la forme même de l’abjection dénoncée, adopter la position d’impuissance voyeuriste de l’Occident, en ne dérogeant surtout pas à sa non-mise en scène masturbatoire. C’est complaisant, mais c’est ça le truc, vous voyez ? Oui ? Bravo.

 

Histoire d’être patient avec cette choucroute de dénonciations moralistes et d’intentions auteurisantes (et c’est difficile, tant le parallèle sexe/politique rappelle Houellebecq et Yann Moix, bonjour la littérature de combat), on peut invoquer, bien sûr, le-courage-de-pointer-l’envers-féminin-de-la-misère-sexuelle. Ou encore de regarder-par-métonymie-l’horreur-de-la-domination-Nord-Sud. Et, louer, pourquoi pas, le jeu d’une sugar mama épatante et de beach boys convaincants, autant de raisons de ne pas bouder cette fable glacialement lucide, et d’attendre avec impatience les deux suites annoncées par l’auteur – lesquelles, à coup sûr, agiteront nos écrans comme deux formidables secousses de chair nue et flasque au large du Kenya.