Trash, satire et autoflagélation, Palindromes s’inscrit dans la droite lignée de la filmographie de Todd Solondz qui semblait pourtant avoir fait le tour de la question. Après avoir capté la violence des insultes et des coups (Bienvenue dans l’âge ingrat), enregistré la douleur qu’ils provoquent à long terme (Happiness), le cinéaste rassemblait le tout dans Storytelling, deux films en un où action et réaction étaient enfin réunies. Assez finement, Palindromes conceptualise le ressassement pour progresser, manière délicate de boucler la boucle sans en avoir l’air. Démultiplicateur à tout point de vue, le film revient désespérément au point de départ, comme un hamster tournant dans sa cage. La définition même du palindrome (un mot qu’on lit à l’endroit comme à l’envers de la même façon) se rapporte autant au dispositif qu’à l’auteur : jeu de massacre d’une rare violence sur la société américaine, le film dresse aussi un constat personnel sans la moindre concession.

Ado incomprise par sa famille de banlieusards friqués, Aviva voudrait devenir mère pour « aimer et être aimer ». Elle obtient ce qu’elle veut lors d’un dépucelage sordide, sorte d’extension masturbatoire d’un branleur en plein malaise. Commence alors une errance quasi légendaire dans une Amérique tordue et inquiétante où les pédophiles et les boys scouts doucereux dansent main dans la main. Plus conceptuel qu’à son habitude, Solondz reprend le procédé de Cet obscur objet du désir. Plusieurs actrices se succèdent arbitrairement pour interpréter Aviva. Dispositif ambitieux dont Solondz ne sait trop quoi faire, à part justifier un peu basiquement le concept initial du film. Soit se répéter, encore et toujours : blanche, noire, obèse ou adulte (Jennifer Jason Leigh, blafarde, apparaît sur la fin), toutes les strates de la société américaine sont finalement aussi figées les unes que les autres, agglutinées dans le même malaise.

Reste la virtuosité de Solondz, intacte, et son sadisme, qui devient l’enjeu principal des scènes. Chaque permutation d’actrice est une occasion de s’engouffrer dans une étude de caractères vorace. Sommet du film, l’incursion d’Aviva dans une famille néo-conservatrice couvant le gratin des freaks US. Au-delà des handicapés physiques et moteurs, des pédophiles ou des terroristes anti-avortements réunis dans une chorégraphie d’anthologie, c’est un infâme petit fayot ressemblant étrangement au cinéaste (malingre et grosses lunettes), qui rassemble toutes ses approches de mise en scène. Observateur, mielleux, incroyablement manipulateur, sa mucoviscidose, évidemment exposée et moquée, rappelle combien Solondz se regarde en creux. Le témoignage final du cousin d’Aviva, autre avatar solondzien, confirme combien son cynisme se nourrit d’une infinie tristesse, condamnée à la même antipathie pour exister pleinement.