Amis du bistouri, bonsoir. Si Dans ma peau de Marina de Van ne vous avait pas fait tourner de l’oeil, revenez-y avec ce documentaire consacré à l’artiste la plus charcutée du monde, Orlan, une Française qui depuis plus de vingt ans, travaille sur la représentation des corps et des visages, surtout le sien. Plus récemment, grâce aux avancées de la chirurgie qu’elle se refuse à appeler « esthétique », Orlan, de même qu’elle s’est rebaptisée, se ré-envisage en demandant à des chirurgiens d’intervenir pour modifier son corps : peau étirée ou retirée, bosses de silicone ajoutées de part et d’autre du front (alors que ces accessoires sont effectivement prisés des femmes pour remonter leurs pommettes, l’âge venant), celle qui avait voulu ressembler, un temps, à Mona Lisa, se met en scène comme Protée permanente, corps en perpétuelle métamorphose. Ce film est organisé autour d’une performance de 1993 intitulée Omniprésence durant laquelle, pendant l’opération, Orlan lit ses théories sur l’art et s’exhibe ainsi par satellite à des spécialistes et des universitaires à Paris ou à New York en posture de sujet pensant et d’objet plastiquement modifié. Arrive un moment où la souffrance fait interrompre la lecture, mais l’entreprise n’est pas, on le constate, un pur jeu masochiste. Des « experts » de tout poil (un philosophe, un critique d’art, une chirurgienne…) se succèdent devant la caméra de Stephan Oriach pour venir légitimer la démarche d’Orlan, présentée :
1) comme le prolongement cohérent de son intérêt pour l’art baroque ;
2) comme défi envers Dieu (remodeler ce qu’il a créé) ;
3) comme avancée féministe (fi des canons de la beauté, qui, comme le souligne Orlan dans une séquence un peu trop didactique autour de ses travaux de « self-hybridation » en numérique, changent au gré de l’histoire et surtout des cultures).

Sans être hagiographique, le documentaire manque d’une certaine distance envers son objet. Oriach n’ose ni tourner en dérision le narcissisme outrancier de la dame (pour quelqu’un qui dit remettre en cause la notion d’identité, elle possède un ego jamais près de perdre le Nord…), ni aborder frontalement la question de l’intérêt artistique des « productions » de l’artiste. On aperçoit par exemple, mais trop brièvement, les reliquaires qu’elle confectionne avec des morceaux de sa peau, un masque sur le nez (eh oui : nos tissus, une fois retranchés, pourrissent à une vitesse inimaginable). On peut regretter que Orlan, carnal art s’en tienne à la théorie et à la psychologie de la démarche, car ces reliquaires, assez beaux, sortent enfin de l’image, de la figuration de soi, pour tendre vers l’informel, comme s’ils prouvaient que l’artiste abstrait, contrairement à ce qu’on peut croire, y laisse souvent sa peau.