Origine est inattaquable -décors superbes, mise en scène et animation béton, message édifiant-, mais aussi dépourvu de ce qui aurait du le démarquer des fables écologistes qui nous sont parvenues ces dernières années : l’Originalité. Pour ceux qui n’ont pas découvert l’animation nippone avec Le Château ambulant (2004) de Hayao Miyazaki, Origine s’apparente à une déclinaison des mêmes personnages, enjeux et thèmes brassés depuis, au moins, 1978 et la série animée Conan le fils du futur, réalisée par… Miyazaki. Aucune surprise, mais on pourra néanmoins apprécier l’esthétique de cette énième plaisante fresque écolo, dans la lignée de l’univers post-apocalyptique engendré par un pan de l’animation nippone. De Nausicaä de la vallée du vent (lire notre chronique BD) à Appleseed (les œuvres étiquetées cyberpunk ont en effet des points communs avec les fictions écologistes), c’est ce même -fascinant- monde que l’on retrouve dans Origine : celui d’une Terre quasi morte, où les rares survivants de l’espèce humaine se font ou menacent de se faire la guerre, pour des questions ayant trait à leur glorieux passé destructeur et leur avenir incertain, l’un et l’autre tributaires de leurs rapports avec Dame Nature. C’est au final une véritable mythologie, avec sa dramaturgie et ses héros, que vient encore consolider la dernière production du studio Gonzo.

La trame paraîtra archi-familière. Dans le futur, suite à une catastrophe venue de la Lune, la Terre est à l’agonie, couverte de forêts ou de déserts. L’Humanité, exsangue, mène de deux façons différentes la « bataille de l’eau », denrée devenue rarissime. La nation de Ragna survit grâce à une ville-usine qui pompe les sources du désert, tandis que la Cité Neutre, à la lisière de la forêt, puise l’eau avec parcimonie dans les profondeurs de celle-ci. C’est à cette deuxième communauté, respectueuse d’une Nature hostile, qu’appartient le héros d’Origine, Agito. Le camp de Ragna est quant à lui animé d’intentions belliqueuses à l’égard d’une forêt réputée mangeuse d’hommes. L’opposition entre les deux peuples se cristallise définitivement lorsqu’Agito réveille Toola, une jeune fille endormie depuis des siècles. Celle-ci détient le secret du passé, mais aussi la clé de l’avenir de la planète. Rien ne manque au tableau : le décor post-cataclysmique, le juvénile héros masculin positif et surpuissant, l’héroïne dépositaire du sort des hommes, des aïeux plein de sagesse, deux cités antagonistes (l’une rurale et pacifiste, l’autre industrielle et agressive), une Nature menaçante et mal connue, des créatures fabuleuses (ici druides, fillettes jumelles parlant au nom de la forêt et impressionnants dragons végétaux), des mutations corporelles (certains individus de la Cité Neutre reçoivent une partie du pouvoir de la forêt, et finissent en conséquence par se muer en arbre), etc. L’ensemble transpire la bonne volonté et la naïveté de mise lorsqu’on vise un public familial. Là où Miyazaki, justement, réussissait avec Princesse Mononoke une fresque écologique adulte et assumée comme telle, la plupart des productions animées japonaises porteuses, de près ou de loin, d’un message écologiste et pacifiste ne quittent guère le plancher des vaches en développant un discours simpliste à travers des personnages univoques. Curieusement, l’œuvre fondatrice du genre, Conan le fils du futur, même si adressée aux enfants, ne lésinait ni sur la complexité, ni sur la présence immanquable lorsqu’on parle d’apocalypse et de conflits armés, de la violence et de la mort. Origine ne montre même guère de blessés parmi la population, ce contournement de toute violence faisant perdre de sa crédibilité et de sa puissance au film. A force d’imiter ses modèles sans y apporter du neuf, l’animation nippone néo-écolo a dégénérée. A trop rester dans la lumière de Dieu le père, ne finit-on par s’y brûler les ailes ?

La figure tutélaire qui plane sur Origine est, évidemment, celle d’Hayao Miyazaki. Pas besoin de creuser bien profond pour comprendre les raisons de son omniprésence involontaire : le scénariste d’Origine, Umanosuke Iida, a travaillé sur Nausicaä de la vallée du vent et Laputa le château dans le ciel. Ce qui expliquerait le calquage grossier d’Origine sur ces deux œuvres. Le film reprend à Nausicaä les thèmes de la forêt menaçante et de la résurrection fatale des démons du passé, et emprunte à Laputa son couple de héros adolescents, sa civilisation disparue et son peuple guerrier nostalgique d’une époque de puissance. Une mythologie cette fois quasi propre à Miyazaki, déjà présente dans Conan le fils du futur et que le réalisateur a déclinée depuis, avec intelligence, jusqu’à Princesse Mononoke. La postérité du cinéaste semble avoir dépassé, auprès de ses jeunes collègues, le cadre de la formation, jusqu’à asphyxier le cerveau de disciples auto-condamnés à répéter les litanies du Maître. N’est-il pas temps de tuer Dieu le père ? Dire que Miyazaki a fait des petits est trop modeste, puisqu’il parvient à se reproduire hors de son fief, le studio Ghibli. C’est en effet le jeune studio Gonzo, connu pour ses séries Gate keepers, Hellsing, Gantz ou Samurai 7, qui a réalisé Origine. L’équipe, désireuse de s’attaquer au long métrage, aurait apprécié le scénario de Umanosuke Iida… par nostalgie ? ou par volonté de toucher le plus large public -y compris hors du Japon- possible ? N’est-ce pas préoccupant de voir les créateurs de demain de l’animation nippone (la plus productive du monde) se tourner encore et toujours vers une référence unique, sans s’en détacher d’un iota ? C’est peut-être encore davantage par sa domination symbolique écrasante auprès de ses jeunes pairs que par son audience internationale, qui le place dorénavant comme LE représentant incontournable du cinéma japonais, qu’on mesure réellement l’impact des films de Miyazaki dans la culture populaire. La situation est inquiétante pour une animation nippone engluée dans ses dévotions au Maître -les alternatives, telles que Mindgame si elles existent bel et bien, ne bénéficient hélas pas de la même audience médiatique (relire à ce propos notre dossier Au-delà de Miyazaki, Chronic’art #18, février / mars 2005). Histoire d’en rajouter une louche, le studio Ghibli a récemment sorti de son chapeau le fils Miyazaki, Goro (jamais vu auparavant dans une production d’animation), pour reprendre le flambeau. Papa ne serait pas d’accord, paraît-il, avec la démarche ; peu importe, pour Toshio Suzuki, président de Ghibli, un Miyazaki est un Miyazaki. Confirmation à la vision de la bande-annonce du film dirigé par Junior, qui sort cet été au Japon –Le Château ambulant dans le ciel ?- Gendo Seki (ou Les Guerres de Gendo), inspiré d’un roman d’Ursula K. Le Guin. Ce long métrage s’annonce en effet comme un remix des oeuvres plus anciennes du paternel. Vivement l’Apocalypse !