Il y a toutes les chances pour que le premier long métrage « traditionnel » de HPG, hardeur célèbre devenu avec ses premiers films -notamment le très (dé)culotté Son vît son oeuvre– un objet d’études critiques et universitaires, il y a toutes les chances, donc, pour que ce film soit vu comme un délire ringard pour critiques branchés en mal de sensations fortes. On voit ça d’ici, les accusations d’amateurisme, de beaufisme et de misogynie qui ne manqueront pas de tomber sur le film, à moins qu’on assiste à l’indifférence qui accompagne désormais la sortie en salle de la majorité des « petits films », le caractère vaguement sulfureux ne drainant même plus suffisamment d’aficionados pour au moins assurer un succès d’estime.

On ne devrait pas exister prête bien sûr le flanc à toutes ces critiques, mais la force du film réside précisément dans sa façon de jouer en permanence sur une ligne si ténue, si inconfortable, presque suicidaire, que celles-ci se retournent comme un gant. Nouveau né au cinéma, HPG ne s’encombre pas de références, ne s’inscrit dans aucune tradition, aucune généalogie, ce qui est, d’ordinaire, le lot des jeunes cinéastes. C’est à la fois la faiblesse du film (avec le risque de découvrir l’eau tiède, de manquer d’assise, de flotter dans la mer du rien et de l’informe), et sa plus grande force : HPG s’offre un espace sans borne, ou exactement borné selon des critères esthétiques qui lui sont propres, interrogeant en creux la frontière qui sépare le bon goût du mauvais.

Cela ne signifie évidemment pas que ces interrogations prennent corps dans le cerveau du seul spectateur (qui se demande parfois ce qu’il a devant les yeux), non, HPG est peut-être un nouveau né (jusque « l’esthétique » de son physique, crâne rasé et imberbe), mais c’est aussi quelqu’un qui manifestement trouve matière à interroger cette problématique à l’intérieur de la fiction. Ainsi de cette séquence de pugilat verbal entre lui et des apprentis acteurs de théâtre où la nuance entre le bien joué et le mal joué (ou encore le non joué) prend des allures de querelle byzantine moderne et débridée. Le film tout entier va suivre ce fil dans un apparent bordel décousu. Il faut trouver une place à Hervé, ce corps marginal et inédit, au milieu d’autres corps qui apparaissent d’emblée plus conventionnels, plus intégrés. Parfois, ce corps est confronté à d’autres corps plus marginaux encore.

Entre les deux, HPG cherche son espace, entre son individualité trop forte (au point de nier l’autre) et un dehors qui ne cesse de lui intimer l’ordre de se conformer à des usages (usages parfois conformistes mais parfois nécessaires, ciment de la civilisation, du vivre-ensemble, de l’acte d’aimer -voir les deux belles séquences avec LZA). Son corps, le film, tous deux naviguent à vue dans un gouffre sans jamais tenter de s’accrocher aux deux extrémités. Pas de bouée de sauvetage dans On ne devrait pas exister. Alors parfois le film se plante, mais réussi, le plus souvent, à nous embarquer dans toutes sortes de dérives filmiques expérimentales et excitantes. A l’exception de l’épure classique, que demander de mieux au cinéma ?