Injustice de l’agenda médiatique: devancé de peu par le « Stop à la grippe ! » de Roselyne Bachelot, le « Vivez libre » qui s’étale en majuscules sur l’affiche du dernier Honoré perd, c’est incontestable, un peu de sa force de frappe. Et en même temps le slogan intrigue, on s’interroge. VI-VEZ LIBRE. Quelques pistes s’imposent à la lecture de l’affiche ; l’idée, par exemple, que la libération des femmes passera, pour la collection automne / hiver, par le retour de la cape bretonne. Mais il y a plus évidemment, et pour trouver la clef de ce volontarisme, il faut voir le film, il faut accompagner sa croisade contre les conventions bourgeoises, il faut, vers la fin, entendre Chiara Mastroianni dire : « Mais maman, PERSONNE n’aime les endives braisées ! ».

Christophe Honoré a donc décidé de clore sa trilogie parisienne et mis le cap sur la Bretagne. Pourquoi ? Peut-être pour pouvoir parler de « trilogie parisienne » à propos de ses trois précédents films, mais aussi, parce que, apprend-on, il avait envie de revenir en Bretagne, où il est né, et a grandi, avant de monter à la capitale. Pour autant la Bretagne n’est pas le sujet, tout juste le vague décor du film, pour lequel elle constituerait plutôt ce que la langue marketing appelle un « plus produit ». A la Bretagne, Honoré substitue ainsi le moment breton, une sorte de cadeau Bonux niché dans l’épaisse lessive du drame bourgeois : aux deux-tiers de Non, ma fille tu n’iras pas danser, un décrochage France 3 Région où des bigoudènes, pour illustrer un conte traditionnel local, s’agitent au couinement frénétique du biniou, mis en scène avec l’inspiration d’un spot de l’office du tourisme. C’est inouï et, en même temps, l’opportunisme de la démarche (détourner l’attention de l’inanité du reste du film, planter dans ce désert la bannière arbitraire de l’expérimentation pour expliciter qu’il y a, derrière, un auteur aux commandes), cet opportunisme est à l’image du cinéma d’Honoré en général, et d’une forme de cynisme qui l’accompagne. Dans ce paysage sans relief clignotent ainsi, toujours, quelques balises, balises cinéphiles (ici, Marie-Christine Barrault, revenue de Ma nuit chez Maud) ou balises générationnelles (le tube d’XTC joué in extenso pour expliquer pourquoi le personnage de Jean-Marc Barr s’appelle Nigel).

En cela, Non, ma fille tu n’iras pas danser confirme la vocation de publicitaire d’Honoré, lequel, sous cet angle, n’a pas moins de talent que, mettons, un Klapisch. Une question alors s’impose : de quoi ce cinéma est-il la réclame ? Quelle est la marque ? Klapisch, par exemple, fait la pub de la jeunesse (et se condamne, donc, à faire un cinéma de vieux). Honoré s’en tient, lui, à faire la pub de sa génération, à la manière dont le font, par exemple, les éditos de la presse féminine, auxquels Non, ma fille tu n’iras pas danser est offert sur un plateau. Chiara Mastroianni y joue une mère divorcée complètement larguée, embarquant ses loupiots dans une retraite improvisée chez ses parents, lesquels ont invité l’ex-mari à son insu. C’est a priori un beau personnage (d’autant que Mastroianni est plutôt bien, comme souvent), mais c’est un personnage qui reste, comme avant elle les lycéens de La Belle personne, à l’état de prototype, une figurine dont Honoré ne semble savoir que faire ni comment la regarder (c’est frappant dans la dernière partie, parisienne, du film, totalement anémique), et qu’il condamne à ballotter dans un canevas sans nerf ni réelle nécessité, soutenu par des dialogues invraisemblablement creux. C’est très mauvais et on pourrait bien décider de s’en foutre, mais il y a quand même quelque chose de franchement déprimant à voir la complaisance avec laquelle sont accueillis ce type de téléfilms bourgeois, et l’horizon ainsi dressé pour le cinéma d’auteur. Quant à Christophe Honoré, on lui conseillera simplement, en cas de nouvelle bouffée de bretonnitude, de réserver son énergie pour les prochaines soldes Armor Lux : ce sera rendre un meilleur service à la Bretagne.