Surprise : malgré ce que laissait augurer sa promo, Night Call a peu à voir avec les chatoiements nocturnes de Drive. Bien malin, d’ailleurs, celui qui pourra cerner précisément les influences de Dan Gilroy, homme de l’ombre connu surtout pour le script de Jason Bourne : L’Héritage (réalisé par son frère, Tony). Tissé à partir de fausses pistes enchevêtrées, Night Call refuse de s’endormir dans le fauteuil trop confortable du film noir tatillon (du style jolis châssis et néons fluo). Gilroy  s’amuse à tenir secrètes ses intentions réelles :  descente atmosphérique à travers Los Angeles ? Portait d’un psychopathe ordinaire ? Charge contre le monde des images, façon Network ? Quand le drôle d’oiseau de nuit Lou Bloom (Gyllenhaal) se fait embaucher aux chiens écrasés d’une télé locale, on penche pour la troisième option. D’autant que Bloom, bien décidé à terrasser la concurrence, se met à prédire les faits divers – voire à les provoquer.

Mais le prologue prend soin d’écarter la piste du pamphlet anti-médias. Bloom y est moins présenté comme enfant de la télé que comme silhouette lisse en quête d’aspérités, sorte d’homme sans qualités désireux de s’insérer enfin dans le jeu de rôle social. Pris en flagrant délit de chapardage sur un chantier, il en profite pour réclamer un job au contremaitre avec un volontarisme suspect, trahissant sa soif d’agir à tout prix, pour n’importe qui et dans n’importe quel domaine – tel un androïde prêt à tuer pour peu qu’on le programme à cet effet. Si satire il y a dans Night Call, elle s’attaque donc moins au petit marché des images-chocs qu’à une certaine idée du business plan, obsession maniaque qui vire ici à la folie meurtrière. Loin de tout effet de manche roublard, les mues intempestives du film s’ajustent donc à celles de Lou, pilier d’angoisse à la fois terrifiant et drolatique. Farouchement retranché derrière ses mines de Playmobil aliéné (les grands yeux froids de Gyllenhaal excellent dans ce registre), cet esprit malade se dévoile couche par couche, au gré d’un long effeuillage mental qui donne au récit son étrange cheminement.

Graduer ainsi la folie de son héros permet à Gilroy de ne jamais le filmer comme cas clinique, mais plutôt comme guide vaporeux à travers un L.A. ubuesque, bientôt possédé par toutes les énergies noires planant sur la ville (Travis Bickle n’est jamais loin). Mais le fléau d’hyperactivité dont souffre Bloom mène aussi le film au bord d’un écueil : à trop ausculter le culte malade de la performance, Night Call se raidit lui-même, tendu tout entier vers la seule nécessité de faire éclore la démence d’un homme. Gilroy s’en remet donc à la performance, celle de l’acteur lui-même cette fois, abandonné en roue libre au fil de saynètes un brin démonstratives qui martèlent la même équation (désir d’entreprendre  = germe de la folie criminelle). La mise en scène s’y efface, sacrifiée en somme à la foire aux grimaces labellisées Actors Studio. Reste que la folle dépense d’énergie de la star est aussi l’une des expériences d’un film qui, sous ses atours de thriller à conscience sociale, fonctionne avant tout comme banc d’essai : toutes les trouvailles filmiques sont permises, pourvu qu’elles fassent écho aux névroses filant sur les échangeurs sanglants de Los Angeles.