Dernière tentative qui ranime Peter Pan et son pays imaginaire, Neverland la joue sérieux. Ici, pas de délire d’enfant pourri-gâté de type Spielberg ou de mimétismes dégénérés à la Michael Jackson. Non, Marc Forster est davantage le genre premier de la classe, un peu fayot, sans un gramme d’humour. Allons-y plus gaiement : son film est un de ces produits péteux, sans grâce, incapable de prendre le moindre risque, ni même de reconnaître sobrement son anorexie créatrice. Pour Forster, le cinéma est juste une affaire de trucs : des beaux cadrages, une gravité qui amidonne même les costumes mais qui peut attirer un Oscar ou deux. Et puis un sujet fort, implacable, qui a la classe internationale. Dans A l’ombre de la haine, grosse vessie prétentieuse qui fit la gloriette de Forster et lança Halle Berry, c’était la peine de mort ; maintenant c’est l’origine de la création, l’imaginaire, l’enfance. Attention les yeux.

Bienvenue à Neverland, territoire magique conçu par James Barrie, dramaturge excentrique un peu échaudé par la critique, et un garçonnet pas comme les autres rencontré au parc. Fruit d’une relation bizarrement exclusive (Bambi n’est finalement jamais très loin), et d’une étude quasi-clinique de l’enfance, Peter Pan n’est malheureusement qu’un prétexte pour faire éclater le récit vers le terrain pré-mâché du biopic. Les plongées oniriques dignes d’un spot Captain Igloo en plus sinistre, où Barrie pénètre les rêves de son enfant muse, ne constituent qu’un banal paragraphe, entre amour adultérin sanctionné par la morale bourgeoise, maladie mélodramatique crachée par une Kate Winslet insipide et soulignage planplan du génie du metteur en scène, de sa folie créatrice.

Privé d’enjeu fort, le film ne tient plus que dans sa tenue formelle, dont la beauté ne fait que renforcer le vide intersidéral du propos. Forster laisse même son prestigieux casting en jachère. Alors que Johnny Depp plonge dans un coma poseur et mollasson, c’est Dustin Hoffman qui fait le plus pitié. Grimé derrière une barbe d’imprésario, on le croise de temps en temps, comme un second couteau sans passé, vulgaire bibelot qu’on déplace d’une scène à l’autre. C’est peut-être un détail, mais il révèle avec horreur l’ultime dédain du cinéma de Forster, machine à déshumaniser au nom d’une élégance navrante, qui rend même puant l’académisme le plus inodore.