Houellebecq à Groland : il y a là une sorte d’évidence, tant l’écrivain se fond naturellement dans le bestiaire Delépine / Kervern. Carcasse malade, trogne en ruines et diatribe de comptoir sur l’économie de marché, tous les critères sont réunis pour un partenariat sous les auspices de Topor ou d’Arrabal, leurs modèles communs. Disons-le tout de suite : par sa seule présence, Houellebecq cannibalise sur toute la ligne le projet de Near Death Experience – offrir un film à un corps qui semble en réclamer un. Car l’idée est en fait boiteuse : Houellebecq n’a pas attendu le dadaïsme en bois des deux compères pour être un acteur monstrueux, lui qui a mené toute sa carrière en représentation, imposant toute une mythologie de la Gauloise blonde, de la peau craquelée et jaunie par les néons froids de Monoprix. Il a donc dix longueurs d’avance : son génie physique est toujours là, évoquant tour à tour Lon Chaney, Céline et un corniaud d’appartement en fin de vie. D’autant qu’il pilote son corps d’épouvantail avec une roublardise digne d’un petit enfant surdoué, toujours très conscient de soi.

C’est parfois réjouissant, mais c’est aussi là que transpire la nullité abyssale du tandem. Au lieu d’avoir affaire à une icône littéraire débauchée par les anars grolandais, on assiste au contraire : Delépine et Kervern pédalent dans le yaourt lyrique pour rattraper Houellebecq, sans comprendre que sa puissance burlesque se suffit à elle-même. Surtout, les acolytes tombent encore dans le même gouffre : cette pâmoison benoîte de poète alcoolo devant la « vérité » d’un acteur, d’un corps en dislocation. Une telle appétence pour les stars changées en petites gens (après Depardieu en pétrolette ou Poelvoorde en punk à chiens, Houellebecq est ici rétrogradé en télévendeur) dissimule mal l’urgence de racheter une ancienne vie passée à patauger dans l’esprit Canal et son cynisme cocaïné. Tout plaquer, prendre la tangente, retrouver la pureté vraie de la gadoue, celle de Picardie ou des Alpes : le burnout a toujours été le sujet premier de nos trublions repentis, eux-mêmes réchappés de la bourgeoisie cathodique pour s’encarter chez Attac. Ici aussi, Houellebecq quitte sa famille et son job pour disparaitre en moyenne montagne, où la mort lui fait de l’oeil. Nouvelle occasion d’une ode grotesque à la beauté des freaks et des médiocres (M.H. est un élu dans un monde où ses semblables ont tous la tête coupée par le cadre, attention la mise en scène). Nouveau cocktail de misanthropie et d’humanisme, qui ne sort jamais de son spleen cradingue filmé à l’os (elle est belle, la montagne) ni de son regard paradoxalement embourgeoisé (elle est belle parce qu’elle est loin de la ville, enfer libéral).

Problème, encore : Houellebecq n’est pas le bon candidat pour servir une telle ode. Ce burnout, il l’a vécu depuis la nuit des temps. Il n’est plus cet employé de bureau aux abois, il n’est même plus un zombie, même plus un cadavre, mais bien un pur esprit. Delépine et Kervern refusent de le voir (sauf quand le suicidaire se déclare déjà mort, avant de retourner se vautrer dans les edelweiss), et intègrent au forceps cette créature étrangère à leurs vignettes surréalistes sans jamais que la magie opère. C’est criant, surtout, quand Houellebecq fabrique un totem figurant sa femme et lui adresse le bilan de leur vie commune, ressassant à travers un babil écrit avec les pieds ce portrait du romantique inadapté à la vie ordinaire. NDE manque donc sa chance d’être un film sur Houellebecq, et cherche, faute de mieux, à détourner mollement son personnage médiatique de nihiliste chic (celui des couvertures J’ai lu, avec le sac plastique), sans voir que l’acteur incarne une disposition existentielle éloignée de leurs petites gesticulations de quinquas en quête d’un bon bol d’air frais.