Impressionnant documentaire surréaliste sur Hollywood, Mulholland drive, film sombre et mystérieux, distille ses charmes vénéneux à travers une mise en scène virtuose presque aussi insaisissable que son sujet. Rien d’extraordinaire dans l’histoire elle-même : alors qu’elle vient à peine de débarquer à Hollywood dans l’espoir de devenir une star, la blonde Betty rencontre la brune Rita, une séduisante jeune femme amnésique qui vient d’échapper de justesse à une tentative d’assassinat. Sous le charme, la starlette en herbe décide d’aider l’énigmatique brune à retrouver sa mémoire. Pourtant, plus qu’un simple récit, ce dispositif d’apparence banal va servir d’armature à la dissection d’un mythe.

Comme Hollywood, Mulholland drive opère donc par envoûtement maléfique. Bande son ensorceleuse, réalisation serpentine et caressante, lumières hypnotiques, corps de rêve, ses atours dégagent en superficie une sensualité exacerbée que l’on pressent pourtant vite être dangereuse. Par ses contrastes violents et ses zones obscures, l’image ne se départit jamais d’une face inquiétante. A l’origine de cette séduction équivoque se tient Rita (un prénom qu’elle se donne après avoir aperçu l’affiche d’un film dont la vedette était tenue par Rita Hayworth), véritable ambassadrice de la ville. Cette vamp fatale brille de milles feux et attire vers elle une multitude d’insectes nocturnes dont les plus fragiles viendront se brûler à son contact. Les archétypes de l’histoire hollywoodienne défilent ainsi, souvent avec beaucoup d’humour dans la caricature, tout au long de la quête de mémoire du voluptueux duo. Naïveté et manipulation, mais aussi trafics mafieux, jeune réalisateur vaniteux ou sympathiques cinéastes dépassés, meurtres, histoires de cul égocentriques ou bestiales, luxe exhibitionniste, manigances carriéristes, secrets d’alcôve finissent par disséquer la légende de l’usine à rêve mieux que n’aurait pu le faire n’importe quel reportage.

Pour cela, David Lynch renoue ici avec un style à l’origine de ses réalisations les plus fascinantes (Twin Peaks et Lost highway) construites sur un montage atomisé qui agrège des images hétérogènes de nature indéfinissable mais à la confrontation édifiante. Sous le signe ostensible de l’illusion (qui rappelle que le film lui-même appartient à Hollywood), Mulholland drive convoque une flopée d’images virtuelles (cauchemars, fantasmes, réminiscences mentales, dédoublements) pour pervertir la romantique histoire d’amour du très lynchien couple blonde/brune. De quoi demeurer tragiquement dans le doute.