Quelques mois après le feuilleton de France 2, la légende napoléonienne n’en finit pas de faire couler de l’encre et imprimer de la pellicule : après le « digest » biographique écrit par Didier Decoin pour Christian Clavier, voici une nouvelle superproduction historico-internationale, dont Antoine de Caunes, qui cherche par tous les moyens à se débarrasser de son statut d’ex-star de télé, est d’avantage l’exécutant que le maître d’oeuvre. Car Monsieur N. est avant tout un scénario longtemps mûri et retravaillé par l’auteur et cinéaste René Manzor, d’après l’idée du producteur Pierre Kubel de faire un film sur l’exil de Napoléon à Sainte-Hélène. Monsieur N. prend le parti de questionner les dernières années de Napoléon, surfant sur la récente polémique concernant les circonstances de sa mort : quasi-certitude de son empoisonnement ordonné par son geôlier anglais, l’officier Hudson Lowe, doutes sur l’identité de la dépouille reposant aux Invalides.

René Manzor a bâti son scénario sur ces spéculations, et s’autorise certaines hypothèses, assumant aussi bien la recherche historique que la volonté romanesque. De Caunes hérite du projet (on ne sait trop comment ni pourquoi), avec Philippe Torreton dans le rôle-titre. Malgré ce sentiment d’arbitraire -un ex-animateur de télé se retrouve deux ans après son premier film aux commandes d’un « Napoléon » quand Kubrick n’a pu faire le sien-, le film brave non sans témérité les mauvais a priori. L’originalité du sujet est d’offrir un point de vue croisé sur les dernières années de la vie de l’empereur. L’exhumation et le transfert de ses restes aux Invalides, vingt ans après sa mort, est le point de repère temporel. Monsieur N. se construit donc comme un flash-back qui démarre avec la voix off de Heathcote, une jeune recrue anglaise, débarqué à Saine-Hélène avec Hudson Lowe au moment où ce dernier prend la relève de l’ancien gouverneur. Bonaparte est prêt à en découdre avec cet officier besogneux, rigide et paranoïaque, qu’il ne cessera de défier indirectement (il ne lui a accordé que trois entrevues en six ans de captivité). Le point de vue glisse par la suite vers les différents témoins des années de captivité de Bonaparte : son entourage (les fidèles Las Cases, Bertrand, Montholon, son valet et confident Cipriani) et la jeune anglaise Betsy qui passe pour avoir été son dernier flirt, et dont s’amourache désespérément le jeune troufion, évidemment pas de taille. Monsieur N. se construit sur le mystère qui entoure ces dernières années : l’isolement croissant du prisonnier à Longwood, la petite maison dans laquelle il se barricade, la volonté de Lowe d’en finir avec ce prisonnier coûteux et arrogant, le départ progressif de tous les « fidèles », fuyant le climat malsain et asphyxiant de l’île.

L’ensemble n’est pas trop mal mené, « N » est joué avec conviction par un Torreton charismatique, qui rattrape un casting sans audace, auquel seul Bruno Putzulu et la jeune Siobhan Hewlett apportent un peu de fraîcheur. La mise en scène est classique, scolaire mais sans faute de goût. Si Antoine De Caunes s’est acquitté de sa tâche avec honnêteté et humilité -des qualités appréciables, mais qui sont rarement celles des grands cinéaste-, Monsieur N. échoue à captiver par les hypothèses qu’il expose sur le mort de l’empereur, car ce matériau sensationnaliste remplace la vision qui fait défaut. Le film manque de la distance et de la réflexivité nécessaires à qui se frotte à pareil sujet, exercice biographique des plus périlleux. Dans le meilleur des cas, cela donne Resnais et dans le pire, c’est Hossein et Decaux. Pour être juste, Monsieur N. est à mi-chemin, c’est-à-dire au stade télévisuel. Mais la route est longue pour faire du cinéma, et les raccourcis mènent rarement à bon port…