Le « milieu » a souvent coutume de dire que le cinéma français est sauvé par ses comédies, genre économiquement viable à tel point qu’il n’y a pas un mois sans qu’une ou plusieurs comédies pointent leur nez au box-office national. Economiquement, c’est un fait avéré. Esthétiquement, idéologiquement, moralement, c’est une autre affaire, ce genre étant à la pointe de ce qui se fait de pire dans ce pays. De ce point de vue, Mon meilleur ami bat des records. L’histoire ? Un marchand d’art (Daniel Auteuil), qu’on a mis au défi de trouver un ami, voit en la personne d’un chauffeur de taxi (Dany Boon) le gogo idéal, bien qu’il l’ait d’abord un peu éconduit. La grande leçon d’humanité, c’est le gogo qui va la donner.

Le film suinte l’affect de classe de partout. En témoigne, parmi d’autres éléments, la façon dont Leconte envisage le jeu de chacun sans même s’en rendre compte (un festival de lapsus en tous genres). Aux riches un jeu naturaliste, à peine théâtralisé. Aux pauvres un jeu au contraire folklorique avec mimiques à tout va, roulements d’yeux et sourires béats (les parents de Danny Boon). Aux uns le regard perçant de celui à qui on ne la fait pas, aux autres une naïveté bovine et bienheureuse. Cette différence de traitement (dialogues, niveau de jeu) n’est pas anecdotique dans un film qui prétend parler de l’amitié mais évidemment pas de la lutte des classes. Chez Leconte cette donnée n’existe même pas car à l’instar de Claude Autant-Lara lorsqu’il réalise La Traversée de Paris, le monde dans lequel vivent les personnages est harmonieux, chacun à sa place et content d’y être. Et si chez Leconte un pauvre, un chauffeur de taxi, un salarié, doit devenir riche, c’est bien entendu en jouant à Qui veut gagner des millions ?.

Que le film soit filmé n’importe comment est finalement bien secondaire au regard de cette effrayante vision du monde. Leconte ne sait pas regarder un personnage qui n’est pas de sa classe, il faut qu’il le caricature, qu’il le bonhommise pour le rendre acceptable à ses yeux. Rien d’étonnant cependant de la part d’un réalisateur qui n’a comme image de la classe moyenne et du prolétariat que des visions d’Epinal (Félix et Lola) ou pire encore, une version forcément criarde et forcément vulgaire (Les Bronzés 3). Les riches marchands d’art de Mon meilleur ami, Leconte se garde bien de les rendre un tant soit peu hauts en couleurs. Les couleurs, c’est pour les pauvres.