Evidemment, cette adaptation au cinéma de Miami Vice était attendue. Les déboires dantesques du tournage en Amérique centrale autant que l’annonce répétée depuis des années qu’il s’agirait là du film le plus important de Michael Mann laissaient entendre un événement absolument singulier. Et pourtant : ces Deux flics à Miami ne sont rien d’autre qu’un épisode customisé et contemporain de la plus eighties des séries télévisées. Les agents Sonny Crockett et Ricardo Tubbs sont envoyés sur place pour infiltrer un cartel lié à une organisation américaine extrémiste dont les accointances avec le pouvoir ont permis un massacre sans précédent. Voici donc nos deux agents lancés dans une affaire exotique, déroulant leur savoir-faire sans gros problème jusqu’à la fin.

Proche du non événement, Miami Vice ? Sûrement, d’autant que Mann joue ici sur un fil large comme une autoroute, se refusant -élégance suprême- à miser la carte de l’auteur fraîchement adoubé (le nouveau consensus autour d’un style ostracisé jusqu’à Collateral). Nul gonflement lyrique, mélancolie ou complaisance pour un quelconque hypnotisme mannien ici, Miami Vice se contente de dérouler le travail entrepris sur Collateral et de filer au rythme de la Ferrari du duo ou des embarcations futuristes qui saignent la surface étale de l’océan pour franchir un bout de planète en un éclair. On ne trouve même plus le prétexte métaphysique du précédent film (le côté « C’est beau une ville la nuit » en mieux), simplement une pure frime, un étrange compromis entre élégance absolue de la mise en scène et compression triviale des enjeux, splendeur visuelle où pas un plan, pas un détail dans le champ, malgré l’inédite beauté du filmage en HD (depuis Ali, la maîtrise de ce nouveau matériau gonfle de film en film) ne résiste à l’irradiante permanence du style.

La trivialité même du jeu de Colin Farrell trouve ici une occasion rare d’éblouir, sa flamboyance bouffie et très seventies offrant par brèches une mesure bouleversante dans le rapport stéréotypé qui l’unit à la reine Isabela / Gong Li, secrétaire de luxe prenant langoureusement -et fort passivement- le haut commandement du film dès son second tiers, lors d’un intermède à Cuba rompant le fil du polar pour s’évanouir dans un vertige. Gong Li est le parfait reflet inversé de Farrell, apparaissant ici entre ravissement (son éclat sexuel) et neutralité (parfois filmée comme une poupée sans teint). Cet intermède déboute le film de son projet initial, virant sciemment Thomas Crown (celui de John McTiernan, pas l’autre bouse) avant de reprendre la route. Alors ne reste plus qu’à filer entre les clichés, sans effet de manche ou de distorsion, dans un pragmatisme constant visant à imposer sans forcer sa supériorité sur tous les autres. La superbe de Miami Vice est à ce prix, un déficit de panache pour un surplus de ce qu’on appelle vulgairement la classe : donner à voir un cinéaste au sommet de son art capable de dérouler à l’infini même lorsqu’il se débat avec dix lignes de scénario.